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Je dois toujours être disponible », « Je n’ai pas droit à l’erreur »… Ces 13 croyances qui gâchent le quotidien des managers

Être infaillible, maître du contrôle, roi de l’anticipation… Les managers se débattent dans un système d’injonctions contradictoires, souvent héritées d’un autre âge. Deux experts décryptent ces représentations tenaces qui épuisent les cadres et minent la performance collective.

Le costume du chef. Pour se glisser dedans, certains sont prêts à toutes les concessions, quitte à se tirer une balle dans le pied. Voici treize sujets sur lesquels il convient de garder l’esprit clair.

« Je dois toujours être disponible »

C’est sans doute l’idée reçue la plus ancrée. Pour le consultant en management Hervé Coudière, cette disponibilité permanente relève d’un contresens : « Un manager doit clarifier quand il est disponible et quand il ne l’est pas. » Le fondateur de l’organisme de formation Hommes & Coopération recommande d’afficher dans l’agenda ses plages de disponibilité : « Dire à son équipe quand et pour quoi on est disponible, ça change la vie. »

Béatrice Rousset, experte des modèles mentaux, voit dans cette injonction le vestige d’un schéma hiérarchique archaïque : « Nos entreprises ont longtemps reproduit les codes de l’armée et du clergé. Dans ces structures, la disponibilité est la condition même du pouvoir. »

Derrière cet écueil se cachent la conviction de se sentir « très important » et une peur plus intime : « La terreur de ne servir à rien. » Le conseil de l’experte : « Soyez disponible… pour l’essentiel ! »

« Je dois tout savoir »

« Le savoir, c’est le pouvoir », résume Béatrice Rousset. Or, dans les entreprises, cette prétention étouffe la circulation de l’information, « détruit la curiosité et la collaboration ».

Pour l’auteure de « Quels sont vos modèles mentaux ? » (éditions Le Courrier du Livre), ne pas avouer son ignorance est même une des raisons principales de la plupart des faillites des grandes organisations.

Hervé Coudière invite au contraire les managers à « oser dire : je ne sais pas » et à en faire un levier d’apprentissage collectif : « Montrer comment on cherche la réponse, c’est souvent plus formateur que de la donner. »

« Je n’ai pas droit à l’erreur »

Encore un autre écueil. « On aime recruter des dirigeants qui n’ont jamais échoué », note Béatrice Rousset. « Et on entretient l’illusion du bien et du mal, sous-entendu l’erreur serait le mal. » Or cette croyance étouffe l’innovation. « Il y a plein d’échecs qui ont amené à des découvertes majeures, comme le champagne ou le Viagra. C’est ce qu’on appelle la sérendipité », rappelle l’experte.

Hervé Coudière renverse la perspective : « Reconnaître une erreur, la corriger, c’est une preuve d’intégrité. Cela accroît la confiance des équipes. » En entreprise, rappelle-t-il, « ce ne sont pas les erreurs qui détruisent la crédibilité, mais le refus de les assumer ».

« Je dois savoir résoudre tous les problèmes »

Pour Hervé Coudière, « ce réflexe du ‘papamanager’ infantilise les équipes ». Sa méthode : demander au collaborateur d’arriver avec « deux solutions possibles ». « On progresse plus quand on s’intéresse au processus de résolution que quand on règle tout soi-même. »

Béatrice Rousset acquiesce et rajoute que cette idée reçue découle d’une vieille vision mécaniste : « Découper le monde en petits morceaux pour tout comprendre : c’est utile pour une machine, pas pour un système vivant. »

 « Ça ira plus vite si je le fais moi-même »

Béatrice Rousset voit dans cette représentation la trace d’un très vieux modèle mental : le mythe du « héros solitaire » : « Le manager se rêve sauveur d’une équipe, d’une entreprise, alors qu’il agit dans une activité sociale, fondée sur l’interaction. »

Pour Hervé Coudière, déléguer n’est pas abandonner : « C’est reconnaître la compétence de ses collaborateurs et nourrir la motivation. » Par exemple, en déléguant des tâches qui sont « importantes et moins urgentes, de celles qui sont urgentes et moins importantes ».

« Je dois tout contrôler »

Ce besoin vient, selon Béatrice Rousset, d’une certitude plus sombre : « On ne peut pas faire confiance en l’homme. » Rien de tel pour s’épuiser, « bloquer l’action des équipes et le goût du risque ».

Pour Hervé Coudière, la confiance ne s’oppose pas au contrôle. Il faut l’adapter à l’enjeu de la mission et à la maturité du collaborateur. « On commence par vérifier son travail, puis on élargit le périmètre d’autonomie. » Un équilibre subtil entre vigilance sans flicage.

« Je dois prévoir et anticiper »

La tentation de tout prévoir prolonge celle du contrôle : elle rassure, mais fige. Longtemps, l’anticipation fut la marque du bon manager : plan, budget, feuille de route… « Mais dans un monde instable, cet idéal est vain », observe Béatrice Rousset. « Les prévisions détaillées rassurent les sièges des entreprises, mais ne servent souvent qu’à produire une illusion de maîtrise. »

Or, dans un environnement mouvant, la vraie compétence n’est plus d’anticiper, mais de s’ajuster : savoir observer, décider vite, et apprendre du réel. « Aujourd’hui, les managers doivent s’habituer à travailler avec l’incertitude, pas contre elle. »

« Je dois toujours être en accord avec la stratégie de l’entreprise »

Béatrice Rousset, ancienne DRH chez HSBC, puis chargée des programmes de développement des Top 300 dirigeants mondiaux d’AXA, se souvient de ces managers qui, en tête-à-tête, avouaient ne pas partager les décisions de l’entreprise, alors qu’ils devaient les soutenir dans les discours officiels.

« On leur demande d’être ‘one voice’, même quand ils ne croient pas à la stratégie. Ce mensonge permanent tue l’esprit critique et l’énergie », alerte l’experte.

« Je dois me montrer optimiste/positif »

Pour Hervé Coudière, la juste posture est l’ « opti-réalisme », c’est-à-dire regarder les difficultés en face, avec lucidité, sans les noircir ni les enjoliver.

« Parfois, on croit que les collaborateurs ne vont pas supporter une mauvaise nouvelle, que ça risque de leur faire peur. Mais on manage des adultes, pas des enfants ! », rappelle l’auteur du livre « Et si bien gérer son temps, c’était d’abord se concentrer sur ce qui est vraiment important ? » (Gereso Edition).

« Je suis irremplaçable »

Cette opinion toute faite trahit souvent une angoisse identitaire. « C’est une manière de dire : sans moi, tout s’effondre », analyse Béatrice Rousset. Mais le risque est inverse : il bloque la relève, fragilise l’organisation. « Les cimetières sont remplis de gens irremplaçables », glisse Hervé Coudière.

Pour lui, la vraie posture consiste à « continuer à faire son job, tout en préparant son avenir professionnel ». Et de citer ce directeur technique qui pensait être un pilier de l’entreprise avant d’être licencié. « Grâce à son side project (activité lancée en parallèle d’un travail, NDLR), il a pu rebondir sans s’effondrer. »

« Je dois donner le sens à mes équipes »

Cette injonction est jugée « dangereuse » par Béatrice Rousset : « L’idée d’un sens unique imposé par un manager, sous couvert de motivation, vient heurter la liberté de circulation des idées et des informations. »

Et de prendre l’exemple de ce manager qui proclame : « Nous devons être centrés client » alors qu’au quotidien, personne ne rencontre jamais un client et que la priorité est donnée au budget. « La dissonance cognitive est violente. »

Pour la spécialiste des modèles mentaux, cette conviction, « héritée de Platon et des religions », prive les équipes de leur liberté de penser et mine la crédibilité du manager. Aujourd’hui, « le sens se coconstruit », affirme-t-elle.

 « C’est à moi d’encourager le changement »

Avec les plans de transformation, la course à l’acquisition de nouvelles pratiques, l’incitation à la mobilité ou à la formation, le manager sous-entend que « ce que nous sommes, ne suffit pas », pointe Béatrice Rousset. Ce qui finit par user les équipes.

L’experte y voit l’héritage d’une vieille idée : « Nous serions imparfaits mais, à force d’efforts, nous deviendrons meilleurs. » Utile autrefois, obsolète aujourd’hui : « Notre époque est déjà celle du changement permanent. L’enjeu n’est plus de l’accélérer, mais de préserver un peu de stabilité. »

« Je dois fixer les objectifs et les rémunérations de mes collaborateurs »

Cette croyance est d’autant plus puissante qu’elle passe pour un fait. « La plupart des managers n’ont en réalité la main ni sur les objectifs, ni sur les rémunérations, souvent dictés par le siège », constate Béatrice Rousset. « Ils se retrouvent à évaluer des collaborateurs qu’ils voient à peine, avec des critères décidés ailleurs. »

Conséquences, un pouvoir d’action réduit, une perte de sens, voire une démission silencieuse (ou quiet quitting). L’alternative ? « Définir son rôle au gré de la réalité de la situation, en devenant coach, animateur, médiateur, facilitateur, agent politique ou formateur », conclut l’experte.

Corinne Dillenseger 

 

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