2015, une année de transition vers un droit de la commande publique renouvelé

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Chronique d'actualité par Edouard Clot, avocat associé, cabinet Clot-Lhéritier

Les nouvelles directives marchés publics et concession : une modification en profondeur de notre droit de la commande publique


L'actualité du droit de la commande publique est dominée par le calendrier de transposition des  trois nouvelles directives adoptées par le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne le 26 février 2014 : la directive 2014/24/UE du parlement et du conseil sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE, dite directive marchés « secteurs classiques » ; la directive 2014/25/UE du parlement et du conseil relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE, dite directive marchés « secteurs spéciaux » ; la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du conseil sur l'attribution des contrats de concessions, qui viendra régir la passation et l'exécution de l'ensemble des concessions de services et de travaux.

Ces trois directives, entrées en vigueur 20 jours après leur publication au Journal officiel de l'Union européenne (publication au 28 mars 2014), devront être transposées par les États membres au plus tard le 18 avril 2016.

Cette transposition des directives implique une modification en profondeur de notre interne de la commande publique :  le Code des marchés publics, l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics, la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 dite loi « Sapin » régissant les délégations de service public, mais également l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat et différents textes relatifs à certains montages contractuels complexes ou d'autorisations d'occupation domaniales susceptibles de relever de la qualification de marchés publics au sens du droit communautaire (autorisations d'occupation domanial constitutives de droits réels, baux emphytéotiques administratifs ou baux emphytéotiques hospitaliers notamment).

Un calendrier de transposition serré !

L'article 42 de la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives adoptée par le Parlement autorise le gouvernement à légiférer par ordonnance pour mettre en œuvre la transposition des directives[1].

Selon le calendrier publié par le ministère de l'économie et des finances[2], l'ordonnance sur les marchés publics, transposant les directives 2014/24 et 2014/254,  sera adoptée au mois de juin 2015.

La direction des affaires juridiques a d'ores et déjà publié un premier projet d'ordonnance de transposition soumis à consultation publique jusqu'au 30 janvier 2015[3].

Quant à l'ordonnance portant transposition de la directive 2014/23 relative aux contrats de concession, elle devrait être quant à elle adoptée à l'été 2015, selon le ministère de l'économie et des finances.

Panorama des nouveautés introduites par les directives marchés publics

D'une manière générale, trois objectifs sont poursuivis par les directives : renforcer la sécurité juridique, en comblant les lacunes des directives antérieures et en codifiant certains aspects les mieux établis de la jurisprudence européenne ; renforcer les dispositions en vigueur par rapport aux nouveaux objectifs du droit européen des contrats publics : efficacité de la dépense publique, accès facilité des PME aux marchés publics, croissance durable...

Cela se traduit par différentes mesures phares affectant le régime de passation, la dévolution des marchés et l'accès à la commande publique, mais également le régime d'exécution des marchés publics.

Mesures en faveur d'un assouplissement des règles de passation

Au menu des changements importants introduits par les directives dans le régime régime de passation des marchés, il convient de citer:  l'élargissement du recours à la négociation, la réduction des délais de procédures, l'introduction d'une nouvelle procédure de passation, le partenariat d'innovation, outil original permettant d'associer la personne publique et plusieurs opérateurs économiques dans le cadre de projets de recherche et développement en vue prototypage d'une solution répondant aux besoins d'un pouvoir adjudicateur.

Consécration de l'allotissement

Les directives consacrent le principe du recours à l'allotissement, même si celui-ci n'est pas rendu obligatoire, ainsi que la possibilité pour un pouvoir adjudicateur de limiter le nombre de lots auquel un même candidat peut soumissionner ou le nombre de lots qui pourront être attribués à un même soumissionnaire, possibilité déjà admise en droit interne conformément à l'arrêt Bionmis du Conseil d'Etat[4].

Mesures de simplification des candidatures

D'une part, le recours au minimum de capacité financière exprimé en chiffre d'affaires annuel est désormais plafonné au double de la valeur du marché, afin qu'il demeure le moins pénalisant moins possible les PME.

D'autre part, et surtout, un nouvel outil est créé pour simplifier la constitution des dossiers de candidatures, le document unique de marché européen (DUME)[5]. Le DUME permet d'étendre le principe de la déclaration sur l'honneur aux éléments relatifs aux capacités techniques, financières et professionnelles des candidats. Désormais, seul le candidat attributaire sera tenu de fournir les documents justifiant la véracité des informations fournies dans le DUME. A ce DUME vient s'ajouter le principe du « dites le nous une fois », le pouvoir adjudicateur ne pouvant exiger la fourniture de documents accessibles via une base de données nationale publique et gratuite ou déjà remis par le candidat dans le cadre d'une précédente consultation.

L'encadrement strict du recours aux avenants

Les directives fixent des seuils au delà duquel un marché peut être modifié par avenant, ce qui va modifier de manière profonde les pratiques de recours aux avenants des pouvoirs adjudicateurs. Le caractère substantiel d'une modification est donc désormais objectivé : sera constitutif d'un nouveau marché toute modification d'un montant supérieur aux seuils européens ou excédant 10 % de la valeur initiale du marché pour les fournitures et services et 15 % pour les travaux. Il sera possible de s'affranchir de ces seuils uniquement dans deux hypothèses : survenance de sujétions techniques imprévues ; nécessité de réaliser des prestations supplémentaires lorsqu'un changement de cocontractant est impossible ou présenterait des inconvénients majeurs. Et ce sous  réserve que la modification ne remette pas en cause la nature globale du contrat et n'entraîne pas une augmentation de plus de 50% du montant du marché.

Le recours aux avenants de cession de marché est également encadré, dans le droit fil de la jurisprudence Pressetex[6], les possibilités de cession par avenant étant par conséquent plus restrictives que celles qui prévalent actuellement dans notre droit interne conformément à l'avis du Conseil d'Etat du 8 juin 2000[7].

Une transposition déjà en marche !

A titre transitoire, le gouvernement a fait le choix d'intégrer d'ores et déjà certains dispositifs des directives dans notre droit interne de la commande publique.

Transposition accélérée de certaines dispositions impactant le droit des marchés publics

Le décret n° 2014-1097 du 26 septembre 2014 portant mesures de simplification applicables aux marchés publics modifie le Code des marchés publics ainsi que les décrets d'application de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics afin  d'intégrer quatre dispositifs : le partenariat d'innovation, le principe du « dites le nous une fois » qui permet à un candidat d'être dispensé de la fourniture  de documents déjà remis dans le cadre d'une précédente consultation[8], la faculté pour les candidats de ne pas remettre des documents justificatifs qui sont librement accessibles via une base de données nationale gratuite, et enfin le plafonnement du niveau minimum de capacité financière au double du montant du marché ou du lot sauf justifications liées à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution.

Transposition accélérée de dispositions relatives au recours aux avenants dans les concessions


S'agissant des concessions, le décret n° 2014-1341 du 6 novembre 2014 modifiant le décret n° 2010-406 du 26 avril 2010 relatif aux contrats de concession de travaux publics et portant diverses dispositions en matière de commande publique transpose de manière accélérée le point b du paragraphe 1 de l'article 43 de la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 sur l'attribution de contrats de concession. Cette disposition consacre la possibilité de modifier par avenant des concessions les travaux ou services supplémentaires qui sont devenus nécessaires et ne figuraient pas dans le contrat de concession initial, à la double condition qu'un changement de concessionnaire : « 1° Soit impossible pour des raisons économiques ou techniques tenant notamment aux exigences d'interchangeabilité ou d'interopérabilité avec les équipements, services ou installations existants acquis dans le cadre de la concession initiale ;  2° Présenterait pour le pouvoir adjudicateur un inconvénient majeur ou entraînerait pour lui une augmentation substantielle des coûts », étant entendu que le montant cumulé de l'ensemble de ces avenants ne peut excéder 50 % du montant du contrat de concession initial.


[1] La loi d'habilitation votée par le Parlement n'est pas circonscrite à la refonte du Code des marchés publics et de la loi Sapin puisque l'article 42 de la loi du 20 décembre 2014 autorise également le gouvernement à légiférer par ordonnance dans l'objectif de  « prendre toute mesure pour rationaliser l'ensemble des contrats de la commande publique qui sont des marchés publics au sens du droit de l'Union européenne », à savoir, comme nous l'avons déjà indiqué, les contrats de partenariat mais également d'autres montages contractuels complexes reposant sur l'octroi d'autorisation d'occupation du domaine public ou privé des personnes publiques.

[2] http://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/textes/textes-en-cours/tableau-textes-en-cours.pdf

[3] http://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/actualites/projet-ordonnance-volet-legislatif-directives-mp.pdf

[4] CE, 20 février 2013, Société Laboratoire Bionmis, req.  n° 363656.

[5] Une procédure de consultation publique concernant le modèle de DUME a d'ores et déjà été lancée par la Commission européenne. Le projet est consultable ici : http://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/actualites/projet-DUME_FR.pdf

[6] CJUE, 19 juin 2008, Pressetext Nachrichtenagentur C/ République d'Autriche, aff. C-454/06.

[7] CE, Avis, 8 juin 2000, n° 364803.

[8] Soulignons toutefois qu'à ce stade, les pouvoirs adjudicateurs demeurent libres de mettre ou non en place ce dispositif, en quelque sorte à titre expérimental. La transposition effective des directives impliquera de rendre le mécanisme obligatoire pour les pouvoirs adjudicateurs, comme cela est prévu par l'article 59 de la directive 2014/24/UE.

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