4 questions à Xavier Demulder

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Juriste de formation, Xavier Demulder a exercé pendant 15 ans dans l'industrie audiovisuelle et dans des entreprises privées ou publique de toutes tailles. Il anime les formations Comundi : « Externalisation & Travail illégal » et « Organiser efficacement une relation de sous-traitance ».

1- Au fond, de quoi parle-t-on lorsqu'on évoque la sous-traitance ?

Le langage courant utilise le terme « sous-traitance » dès qu'il est fait appel à un fournisseur extérieur à l'entreprise. La définition qu'en donne la loi de 1975, qui l'encadre spécifiquement et a fait l'objet de plusieurs aménagements successifs, est pourtant nettement plus subtile à appréhender.

Il faut en effet se demander combien de personnes participent au schéma de sous-traitance (deux, trois, davantage ?), et quelle est la nature des contrats qui sont conclu (vente, prestation de services, contrat complexe mêlant vente et prestation de services ?).

Enfin, la loi s'appliquait initialement uniquement aux marchés de travaux et de BTP. Depuis 2005, la sous-traitance industrielle est aussi concernée, mais les décisions des tribunaux ne sont pas encore assez nombreuses pour qu'on puisse définir précisément ce qu'il faut entendre par « industrie ».

2- Quelles sont les précautions indispensables avant de mettre en place une relation de sous-traitance ?

L'objet de la loi est de protéger le sous-traitant, et de s'assurer que les prestations réalisées seront effectivement payées.

L'entrepreneur qui souhaite avoir recours à un sous-traitant a donc l'obligation de demander à son client s'il accepte le sous-traitant envisagé. En marchés privés, il doit aussi dès ce moment-là choisir entre deux moyens de sécurisation financière du sous-traitant : production d'une caution ou paiement direct du sous-traitant par le donneur d'ordre.

Mais le donneur d'ordre n'est pas déchargé de toute responsabilité pour autant : il lui appartient de s'assurer que les sous-traitants qui interviennent dans la réalisation des prestations sont tous déclarés et bénéficient tous d'une des deux protections financières prévues par la loi. Les cours et tribunaux sont particulièrement rigoureux à cet égard.

Le donneur d'ordre doit donc être particulièrement vigilant tant en amont de la conclusion du marché que pendant son exécution.

3- Qu'est-ce qui caractérise une situation de travail illégal ? Quelles sont les sanctions encourues ?

La notion de travail illégal recouvre des situations multiples : depuis ce qu'on appelle couramment le « travail au noir » jusqu'au délit de marchandage en passant par le prêt de main d'œuvre illicite, le recours à un salarié de nationalité étrangère en situation irrégulière ou le cumul irrégulier d'emploi !

Le client ou maître d'ouvrage doit veiller à mettre en œuvre tous les moyens à sa disposition pour s'assurer que les salariés de son fournisseur son régulièrement employés : organisation matérielle de l'intervention des collaborateurs du prestataire, précautions administratives, des outils existent pour échapper au risque de condamnation. A défaut, le maître d'ouvrage peut être tenu des dettes sociales et fiscales de son prestataire, sans oublier le risque de sanctions pénales et administratives.

Les qualifications peuvent aussi se cumuler. On l'a vu encore récemment dans une décision du TGI de Chambéry (affaire Promogim) connue pour avoir été rendue au sujet de travailleurs détachés en provenance d'un pays de l'Union Européenne. Travail dissimulé, prêt de main d'œuvre illicite, délit de marchandage, tout était réuni : il s'agissait d'un véritable cas d'école !

4- Quels sont les impacts des évolutions en cours en la matière ?

Des velléités de réformer le cadre juridique applicable à la sous-traitance éclosent régulièrement, généralement à la veille d'échéances électorales importantes :

  • proposition de rendre obligatoire des clauses d'indexation destinées à protéger la rentabilité des sous-traitants;
  • proposition de loi tendant à réduire les délais de paiement au bénéfice des sous-traitants.

Aujourd'hui, les réformes qui sont véritablement en chantier impactent la sous-traitance et les dispositifs relatifs au travail illégal par le biais du renforcement de la réglementation du recours aux travailleurs détachés au sein de l'Union Européenne.

En effet, une proposition de révision de la directive européenne sur les travailleurs détachés (Dir. 96/71/CE du Parlement et du Conseil, 16 déc. 1996) doit être soumise au Parlement européen mais le processus a peu de chances d'aboutir rapidement. Les Etats dans lesquels sont réalisées les prestations seraient désormais libres de décider les documents à produire par les entreprises lors d'un contrôle, et n'auraient pas l'obligation de rendre la solidarité financière obligatoire dans les secteurs d'activité autres que le bâtiment et les travaux publics (BTP).

En France, sans attendre l'adoption définitive et la transposition de cette réforme, une proposition de loi a été adoptée en première lecture par l'Assemblée Nationale le 25 février 2014. Quelques dispositifs envisagés retiennent particulièrement l'attention :

  • solidarité financière du donneur d'ordre renforcée, y-compris pour assurer des conditions d'hébergement décentes aux salariés;
  • vérification par le donneur d'ordre de la déclaration des travailleurs détachés à l'Inspection du travail;
  • établissement d'une liste noire des entreprises européennes ayant été condamnées pour travail illégal, qui seraient en outre exclues des appels d'offre publics.

En outre, la proposition de loi ne fixe pas un rang de sous-traitance en cascade au-delà duquel les vérifications et demandes de documents et attestations ne seraient pas obligatoires. Une résolution européenne votée par l'Assemblée Nationale le 11 juillet 2013 suggérait pourtant de limiter les cas de responsabilité solidaire du donneur d'ordre au troisième échelon de la sous-traitance.

Par ailleurs, le gouvernement a présenté un plan de lutte contre le travail illégal et le détachement abusif (cf. communication du Ministre du travail en Conseil des ministres du 27 novembre 2013) :

  • intensification des contrôles, en ciblant en priorité les principaux secteurs où les dérives sont constatées;
  • au titre de la prévention, signature de conventions de partenariat entre l'administration et les partenaires sociaux dans les principales branches concernées;
  • renforcement de l'arsenal législatif national afin de davantage responsabiliser les donneurs d'ordre (cf. proposition de loi précitée);
  • recherche d'outils adaptés à l'échelle européenne (cf. notamment le projet de réforme de la Directive européenne précité).

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