Osez la confrontation... créative !

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Interview de Didier Hauvette et Jean-Luc Phulpin, spécialistes du leadership et de l'influence des managers et dirigeants.

Ils co-animent la formation « Osez la confrontation - Transformer les résistances en adhésion ».

Pourquoi des séminaires sur la confrontation pour des dirigeants et des managers expérimentés ? Cela ne fait-il pas partie du savoir-faire intrinsèque des leaders ? 

Jean-Luc Phulpin (JLP): Parce que le terme même de "confrontation" fait peur. Au cours des dernières années les mentalités ont fortement changé : il est devenu de plus en plus difficile de s'imposer par le grade ou par l'ancienneté. Ce que nous pouvons observer dans la plupart des entreprises et à tous les niveaux, ce sont des tensions, des conflits, des déperditions d'énergie, liés à des difficultés de la part des leaders à faire passer leurs messages de façon forte et positive. Les pratiques et les savoir-faire nouveaux ne sont pas si répandus que cela. En particulier, la capacité à s'affirmer de façon forte et sans agressivité pose un réel problème.  

Didier Hauvette (DH) : Dans le contexte actuel, la confrontation est un levier d'influence de première importance. Un dirigeant-leader va nécessairement déranger : il a la mission de faire passer tout ou partie de son "environnement" - équipe, hiérarchie, clients et partenaires- d'un état A à un état B ; ce qui n'est pas automatiquement accepté (cf. la théorie du changement). Pour y parvenir, il devra chercher à "aspirer dans son sillage" ses interlocuteurs et éviter de leur imposer ses vues. Il va devoir s'aventurer sur le terrain de ses opposants ou même de ses détracteurs pour passer d'une bataille d'égos, très chargée en émotions négatives, à la recherche d'une confrontation constructive des points de vue.
C'est l'effet que nous recherchons : partir du constat, de l'analyse de l'existant, confronter  les différences, construire des solutions créatives, et durables. Avec un bénéfice induit important : celui de transformer certains de ses opposants en alliés fidèles !

Alors, pourquoi cette "confrontation" n'est-elle pas monnaie courante dans les pratiques de leadership ?

JLP : On touche là à la partie immergée de l'iceberg. Nos cerveaux ont tous la même structure physiologique, mais chacun a un fonctionnement qui est unique : les neurosciences montrent qu'il est façonné par l'histoire personnelle, les traumas, l'éducation et les expériences professionnelles et personnelles. Ce sont les ressentis émotionnels et leur accueil qui déterminent largement nos comportements. Or quand nous voulons nous confronter à certaines attitudes ou certaines situations, cela fait émerger chez certains d'entre nous des ressentis négatifs liés à des situations vécues ou imaginées et à des notions réprouvées comme l'affrontement, la bataille et la dispute. Cela peut également faire émerger en nous, encore plus enfouie, la peur de blesser ou de tuer l'autre. Ce sont là des réactions dites "archaïques ", limitantes  parce que nous nous mettons inconsciemment en situation d'échec et que nous risquons alors effectivement de faire l'expérience de l'échec.

DH : Ce n'est pas seulement la confrontation en elle-même qui est facteur de ressentis négatifs, c'est le manque de savoir-faire dans cette confrontation. Ce qui est gênant c'est de se retrouver face à quelqu'un qui s'énerve, nous submerge sous un délire verbal ou s'effondre en pleurs, et de ne pas savoir comment désamorcer ces réactions émotionnelles.
De façon très concrète, même si les travaux de Daniel Goleman sur l'intelligence émotionnelle ont eu un impact très important, dans le monde entier et depuis plus de 10 ans, leur déploiement dans la pratique des managers au quotidien est loin d'être achevé. Il y a toujours une peur importante des réactions émotionnelles. Confronter un collaborateur ou un collègue, s'affirmer de façon forte, c'est prendre le risque de générer des réactions émotionnelles que l'on a peur de ne pas savoir gérer. Je dirai qu'aujourd'hui, il y a un manque de savoir-faire important qui génère une tendance forte à l'évitement.

Quels bénéfices les dirigeants vont-ils tirer d'un comportement plus confrontant ? 

DH : Ce que les dirigeants peuvent gagner à renforcer leurs compétences dans le domaine de la confrontation c'est :
- plus d'efficacité de la part de leurs équipes,
- plus de confiance et de respect mutuel
- plus de satisfaction personnelle, pour eux-mêmes et leurs équipes,
- des changements plus rapides et plus souples.

En bref, à la fois, plus de performances opérationnelles et moins de stress.
D'une façon plus générale, l'expérience de la confrontation peut s'avérer très positive, contrairement à ce que l'on peut penser et à ce que nous dicte trop souvent notre vécu, Il est courant de ressentir dans cette pratique une grande satisfaction et de générer chez notre interlocuteur un sentiment très positif : celui d'avoir réussi à franchir une difficulté personnelle.

JLP : C'est aussi d'envisager avec sérénité un autre rapport à l'autre, dans lequel la crainte ou la gêne sera remplacée  par la confiance réciproque et le plaisir de la co-élaboration. Un bénéfice essentiel, en termes de profitabilité et de durabilité de l'entreprise, est la mise en évidence de gisements considérables de potentiels, d'initiatives et de créativité. Des avantages concurrentiels décisifs peuvent en naître. Le mouvement brownien des personnalités et des egos se trouve canalisé et amplifié vers l'atteinte d'objectifs partagés.

Quels conseils donneriez-vous aux futurs "confronteurs" ?

DH : Trois conseils : s'entraîner, s'entraîner et s'entraîner ! Les principes sont simples mais leur application peut s'avérer difficile si le meneur de jeu n'est pas aguerri. Car ces règles, ces principes ne sont pas "naturels", ou, plus exactement, ils ne correspondent pas à nos habitudes comportementales actuelles. Comme pour la conduite sur route mouillée, le contrebraquage n'est pas un réflexe « naturel ». Il est pourtant indispensable, si la voiture s'échappe ! Seul l'entrainement peut nous permettre d'apprivoiser nos réactions instinctives, de modifier nos habitudes comportementales et d'adopter progressivement des comportements efficaces.

JLP : N'oublions pas non plus notre "camp de base", c'est-à-dire une préparation très solide de  notre dossier : si je ne veux pas me faire embarquer par mes réactions émotionnelles ou celle de mon interlocuteur, je dois partir d'une idée, d'un projet bien construit que je vais totalement habiter physiquement et émotionnellement.

Et vous personnellement, comment en êtes-vous arrivés à ce type de pratique ?

DH : Ce travail sur la confrontation est le fruit de nombreuses années de recherches, d'expériences et de mise en œuvre. Il s'agit pour moi d'une synthèse de ce que j'ai appris au cours des vingt dernières années sur ce sujet, ainsi que de ce que j'ai vécu comme manager, comme patron de PME, et lors de mes interventions de coach face à des dirigeants autoritaires ou au sein d'équipes de direction conflictuelles. Comment faire passer les principes que je suis censé faire passer, quand les résistances au changement sont très fortes. Comment affronter des personnalités difficiles et les faire adhérer aux nouveaux principes prônés par la direction. C'est grâce à la mise en œuvre de ces principes que j'ai réussi à obtenir des changements importants alors que les chances de réussite étaient faibles !

JLP : Je me suis longtemps demandé pourquoi des managers qui ont le pouvoir, l'expérience, les idées, le talent ne sont pas aussi "productifs" qu'ils pourraient l'être, J'ai beaucoup travaillé sur les situations de crise et sur les attitudes mentales des dirigeants et des hauts potentiels. Mon expérience des sports dits à risque (escalade, ski) et des arts martiaux appliquée aux situations que je vivais et vis encore comme dirigeant d'entreprise, m'a amené à porter une attention particulière aux états émotionnels face au danger (réel ou imaginé) et plus précisément à l'interaction permanente corps-émotions. C'est le fruit de ces réflexions et de ces observations associées aux travaux effectués de son côté par Didier qui nous a permis de modéliser, au cours des dix dernières années, cette approche de la confrontation. Ce travail est une partie intégrante du système complet d'entraînement des leaders que je développe depuis plusieurs années avec une équipe de consultants de haut niveau.

12/12/2012

 

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