Actualité des marchés publics, par le cabinet Yves-René Guillou Avocats

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Les conséquences de l'annulation partielle du décret n°2008-1356 du 19 décembre 2008 en ce qu'il a modifié l'article 28 du code des marchés publics

Par un arrêt n°329100 rendu le 10 février 2010, le Conseil d'Etat a annulé partiellement le décret du 19 décembre 2008 fixant à 20.000 euros HT le seuil des marchés publics passés sans publicité ni mise en concurrence préalable. La Haute Assemblée a ainsi opéré un retour au seuil limite de 4.000 euros : c'est dorénavant seulement en deçà de ce seuil que les pouvoirs adjudicateurs pourront passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalable (I). Le Conseil d'Etat a cependant prononcé une annulation du décret modificateur non rétroactive et différée à compter du 1er mai 2010 (II).

I. Un retour à la publicité et à la mise en concurrence dès le seuil de 4.000 euros dicté par les principes fondamentaux guidant la commande publique

L'article 1er du décret du 19 décembre 2008 procédait au relèvement du seuil de 4.000 à 20.000 euros en deçà duquel un marché public peut être passé sans publicité ni mise en concurrence préalable. En conséquence, il modifiait l'article 28 du Code des marchés publics en ces termes :

« Le pouvoir adjudicateur peut décider que le marché sera passé sans publicité ni mise en concurrence préalables si les circonstances le justifient, ou si son montant estimé est inférieur à 20.000 Euros HT, ou dans les situations décrites au II de l'article 35. »

Mais le Conseil d'Etat a jugé que ce seuil de 20.000 était contraire aux règles guidant la commande publique, à savoir la transparence des procédures, la liberté d'accès à la commande publique et l'égalité de traitement des candidats, rappelées à l'article 1er du Code des marchés publics. En effet, ces principes s'appliquent à tous les marchés entrant dans le champ d'application de ce Code, mais également à ceux qui ne sont pas soumis à une procédure formalisée (CE, 29 juillet 2002, Société MAJ Blanchisserie de Pantin).

Toutefois, la Haute Assemblée rappelle que ces grands principes de la commande publique ne font pas obstacle à ce que « le pouvoir adjudicateur puisse décider que le marché sera passé sans publicité, voire sans mise en concurrence lorsqu'il apparaît que de telles formalités sont impossibles ou manifestement inutiles, notamment en raison de l'objet du marché, de son montant ou du degré de concurrence dans le secteur considéré ».

En raison du nombre très important de marchés inférieurs à 20.000 euros, l'absence de procédure de mise en concurrence portait atteinte aux principes précités :

« En relevant de 4.000 euros à 20.000 euros, de manière générale, le montant en deçà duquel tous les marchés entrant dans le champ de l'article 28 du code des marchés publics sont dispensés de toute commande publique, le pouvoir réglementaire a méconnu les principes d'égalité d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ».

En pratique, l'annulation des dispositions attaquées a pour conséquence un retour au seuil de 4.000 euros, alors en vigueur antérieurement à la publication de l'arrêté du 19 décembre 2008.

II. Une annulation non rétroactive, qui ne prend effet qu'à compter du 1er mai 2010

Le Conseil d'Etat applique également la portée l'arrêt Association AC ! du 11 mai 2004, qui reconnaît au juge le pouvoir de moduler dans le temps les effets d'une annulation contentieuse.

En effet, si l'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu, l'office du juge peut le conduire exceptionnellement, lorsque les conséquences d'une annulation rétroactive seraient manifestement excessives pour les intérêts publics et privés en présence, à moduler dans le temps les effets de l'annulation qu'il prononce.

Dans le présent cas, une annulation rétroactive aurait engendré tant une atteinte au principe de sécurité juridique, qu'un risque non négligeable d'actions engagées par les candidats illégalement évincés depuis le 19 décembre 2008 devant le juge administratif.

Le Conseil d'Etat a donc décidé de supprimer l'effet rétroactif de l'annulation et de donner un effet différé à la date de l'annulation - fixée au 1er mai 2010, « sous réserve des actions engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur leur fondement ». Le Conseil d'Etat passe outre la proposition du ministre de l'Economie de retenir la fin de l'année 2010, qui retenait que l'arrêté attaqué faisait partie intégrante du plan de relance.

Il convient également de distinguer les effets de cette annulation différée sur les actions contentieuses pendantes ou futures :

- pour les marchés passés sans mise en concurrence avant le 10 février 2010, et d'un montant compris entre 4.000 et 20.000 euros HT, ceux-ci ne devraient pas pouvoir faire l'objet de contestation, sous réserve que leur légalité ne soit directement contestée sur des fondements constitutionnels et communautaires. En effet, il n'appartient pas à la juridiction administrative de donner un effet différé aux principes constitutionnels et communautaires.

- pour les marchés déjà contestés à la date du 10 février 2010, d'un montant inférieur à 20.000 et supérieur à 4.000 euros, toute action contentieuse contre les actes détachables de ces marchés demeure possible. En effet, l'arrêt précise que l'effet différé de l'annulation ne s'appliquera pas «aux actions engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur leur fondement».

- pour les marchés passés entre le 10 février et le 1er mai 2010, ceux-ci peuvent en théorie bénéficier du seuil de 20.000 euros HT. Il est toutefois recommandé de ne plus utiliser ce seuil : en effet, les juridictions financières voire pénales pourraient se révéler critiques vis-à-vis de pouvoirs adjudicateurs qui useraient d'une procédure dont ils savent qu'elle est illégale.

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