La question peut prêter à sourire. Pourtant, la posture et la capacité à se mettre en scène comptent dans une carrière. Entre réussir et se mettre en avant, le tout sans agacer, l’équilibre n’est pas toujours évident.
Quand on lui pose la question, Jeanne soupire. Cette consultante dans une grande société de conseil, qui se reconnaît volontiers dans le camp des discrets, a bien remarqué que dans le monde du travail, le modeste ne tire pas toujours son épingle du jeu. « C’est un point qui m’agace en entreprise : les salariés efficaces, mais réservés, ne sont pas aussi reconnus que ceux qui savent se valoriser, voire qui en font des caisses. Et ce même si ces derniers sont concrètement moyens à leur job ! »
Le débat est lancé. Pour avancer, décrocher les bons projets, les opportunités, une promotion, faut-il savoir se vanter, se mettre en avant ? « Malheureusement, je le déplore, mais je dirais qu’aujourd’hui, dans le monde du travail, il vaut mieux être arrogant que modeste. Quelqu’un qui a l’air assuré, confiant, sera davantage écouté, voire promu », acquiesce Camille Darde, DRH de la PME Elmy. Elle essaie de trouver des solutions dans sa société pour soutenir et inclure davantage les introvertis. Mais le combat n’est pas gagné.
Valoriser ses réussites
Comment l’expliquer ? « Le point de vue de la sociologie du travail, c’est que l’entreprise est un système éminemment politique, où s’entrecroisent les jeux de pouvoir. Il est donc impératif de prendre sa place dans ce jeu, d’occuper un territoire, avec des contributions visibles », souligne Sylvie Deffayet, psychologue et professeure de leadership à l’Edhec. Au risque de ne pas apparaître aux yeux des décideurs.
C’est tout le problème des discrets, qui resteront sous les radars s’ils n’arrivent pas à s’imposer un peu plus. « Il est impératif de valoriser ses réussites et de les rendre publiques ! Si vous ne le faites pas, d’autres peuvent se les approprier, tirer la couverture à eux. Il ne s’agit pas de se vanter, mais de réussir à bien communiquer, pour que votre hiérarchie soit au courant de votre travail », conseille Marwan Sinaceur, professeur de psychologie sociale à l’Essec, spécialisé sur les émotions et décisions de groupe.
Savoir-faire et faire savoir
Sauf que prendre sa place dans la lumière n’est pas toujours facile pour les plus pudiques. La solution peut être de commencer par parler de ses réalisations, des dossiers en cours. Ce qui demande un peu de préparation. « Dans l’idéal, il faut des chiffres, des résultats tangibles, quantifiables. Le fait que ce soit très concret aide à se rendre compte de sa propre réussite. Et il est plus facile de valoriser ainsi celle-ci au sein de l’entreprise, de présenter ce succès en réunion ou auprès de sa direction, sans pour autant ‘se la péter’ », relève Marwan Sinaceur. Un bon compromis : on ne se vante pas soi-même, mais plutôt son travail, en somme.
L’amélioration de l’estime et de la confiance en soi mérite des articles, voire des livres entiers, tant le sujet est complexe. « Le conseil que je donne souvent en coaching, c’est de se concentrer sur ce que l’on a fait, plutôt que ce que l’on va faire. Lors d’une réunion de service, il ne s’agit pas de crier que l’on est le plus beau, le plus fort, le plus intelligent. Mais plutôt de dire : ‘voilà ce que j’ai fait, comment je l’ai fait, le résultat auquel je suis arrivé’ », recommande Marc Beretta, coach professionnel et professeur à HEC. Objectif : « Ne plus être que dans le savoir-faire, mais aussi le faire savoir ».
Pour aider les plus timides à sortir de leur coquille, le coach a des petits tips : « Un outil intéressant pour l’estime de soi est le carnet de la confiance. Tous les jours, je prends le temps d’écrire les réalisations marquantes de la journée dans mon petit carnet. Aussi insignifiantes soient-elles ! Quand je me sens mal, ou par exemple quand j’ai besoin de préparer une présentation, je peux me replonger dedans. C’est une bonne première étape pour commencer à communiquer sur ses réussites ».
Confiance et réputation
Pour autant, les discrets ont aussi des arguments. « L’excès d’arrogance est, à long terme, plus risqué que l’excès de modestie ! », estime Marwan Sinaceur, « le modeste peut toujours se rendre compte de son erreur et travailler à sortir de sa zone de confort, sans risque pour sa réputation. A l’inverse, si l’on paraît vraiment arrogant, on peut perdre la confiance des autres. Recréer une impression positive est alors plus difficile… ».
Tomber dans la fanfaronnade permanente et taper sur les nerfs de tous ses collègues peut en effet se transformer en terrain miné. « Prenons quelqu’un qui répète à tous qu’il est le meilleur. Si derrière, les résultats ne suivent pas, ce sera double peine ! », met en garde la DRH Camille Darde. Avec le risque de conserver une mauvaise réputation auprès de tous ceux que l’on a côtoyés – et agacés – sur le long terme.
Le bon équilibre
Comme toujours, la difficulté est de trouver le bon équilibre. Le besogneux timide doit apprendre à se placer dans les jeux de pouvoir de l’entreprise. Le crâneur à se recentrer sur ses dossiers et à conserver de bonnes relations avec son entourage.
« L’objectif, finalement, c’est l’humilité, explique Sylvie Deffayet. Cette compétence psychologique consiste à se voir de manière réaliste, en ayant confiance de ses forces et de ses faiblesses. Les modestes qui s’interdisent de faire rayonner leurs réalisations doivent comprendre que le but n’est pas de briller comme une star, mais de célébrer par exemple un projet ardu mené en équipe ».
Et pour les vantards (en mettant de côté les narcissiques et autres troubles de la personnalité) ? « Eux ont plutôt intérêt à être sensibles à ce qui leur est dit, aux signaux faibles, au fait qu’ils prennent parfois beaucoup de place. Le meilleur conseil est d’écouter les feedbacks, de savoir se remettre en question ».
Laura Makary



