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Travail hybride : plus d’efficacité moins de créativité

Télétravail et efficacité

OPINION – De nombreux travaux de recherche ont été faits pour évaluer les conséquences de la révolution du télétravail et du travail hybride. Moins d’arrêts-maladies, plus de satisfaction au travail, mais une créativité plus faible… Des nouveaux modes de management sont à inventer.

« Ne forcez pas vos salariés à retourner au travail physique ! » L’appel de l’économiste Nicholas Bloom en juillet 2021 dans la « Harvard Business Review » a été abondamment relayé. De grandes entreprises de technologie (Apple, Google, Microsoft, Amazon…) et de la finance (JP Morgan, Bank of America…) ont mis en oeuvre une organisation du travail hybride, permettant à leurs salariés de télétravailler 1 ou 2 jours par semaine. Jusqu’à un tiers des salariés américains a connu ce modèle d’organisation du travail, un chiffre proche des estimations publiées en France en 2021 (27 %).

Et même si un léger effritement est à l’oeuvre, les quatre cinquièmes des salariés qui y ont goûté déclarent vouloir poursuivre en hybride. Une intense activité de recherche s’est développée pour évaluer les conséquences de cette révolution. Deux premiers enseignements s’en dégagent.

Une baisse spectaculaire des arrêts de travail

Une première leçon est que le travail hybride s’impose très rapidement comme un standard. Dans les activités de service immatériel, pour les cols blancs, il est un avantage compétitif décisif, car il contribue fortement à fidéliser les salariés sans pénaliser la productivité. Les équipes de Stanford ont conçu récemment un protocole d’expérimentation qui permet de l’établir de façon rigoureuse, avec l’appui d’une entreprise aéronautique localisée à Shanghai.

Cette entreprise a proposé à 1.600 salariés volontaires le modèle hybride déployé dans le groupe Apple (2 à 3 jours par semaine à domicile). Elle a tiré au sort les premiers bénéficiaires du dispositif, pour une durée de six mois. La comparaison entre groupe de traitement et groupe de contrôle a montré une baisse spectaculaire de l’attrition (-35 %) et des arrêts-maladies (-12 %). Le travail hybride augmente significativement la satisfaction au travail et ne pénalise nullement la productivité.

L’écran rétrécit le « périmètre cognitif » des échanges

Un second enseignement est que le travail à distance réduit la créativité. Une étude publiée cette semaine dans « Nature » fait l’objet de toutes les attentions. Elle compare en double aveugle des binômes de travail en présentiel et en vidéoconférence. Les équipes de recherche (Stanford et Columbia) ont dans un premier temps conduit une expérience en laboratoire (620 participants), complétée par une expérimentation en entreprise (1.490 salariés). Une batterie de tests est effectuée. La « performance d’idéation » des salariés est mesurée, c’est-à-dire la capacité à faire émerger des idées nouvelles.

L’étude montre une spectaculaire régression de la créativité à l’issue des vidéoconférences. Elle l’explique de la façon suivante : le filtre de l’écran rétrécit le « périmètre cognitif » des échanges ; même si le contact visuel entre individus paraît moins altéré qu’on ne pourrait le penser, les salariés passent respectivement beaucoup plus de temps à se focaliser sur leurs pairs dans les échanges vidéo, et moins de temps à se laisser divertir par leur environnement ; le divertissement est pourtant la particule élémentaire de la créativité !

Réinventer le format des réunions, créer de l’inattendu…

Une « révolution de l’attention » est à l’œuvre dans les entreprises. La négliger serait une grave erreur. Elle est à la mesure de celle qui a bouleversé le monde des médias après l’émergence des réseaux sociaux. Tout est à repenser en la matière pour faire évoluer le format des réunions, recréer du divertissement et de l’inattendu, permettre à l’attention d’être durable, structurer les bases de connaissances en articulant physique et virtuel

Ce qu’il s’agit d’inventer est finalement l’équivalent de ce qu’aura été, dans le monde de l’éducation, la pédagogie inventée par Maria Montessori au début du XXe siècle, qui favorise la créativité et les compétences en faisant levier sur l’autonomie des élèves. Place à Montessori tout au long de la vie !

Par Etienne Grass – Les Echos Entrepreneurs

Etienne Grass est vice-président exécutif de Capgemini, enseignant à Sciences Po Paris

 

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