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Salle de relaxation, vue sur la tour Eiffel, baristas… ces grands groupes qui s’offrent des bureaux de luxe pour juguler le télétravail

Des bureaux de luxe pour juguler le télétravail

Ne parlez plus de cantine mais « d’espace de restauration ». Les nouveaux bureaux s’inspirent des codes de l’hôtellerie pour séduire et fidéliser les collaborateurs. Avec un objectif non affiché dans un contexte de recul sur le télétravail : les convaincre de venir travailler en présentiel.

Le soleil se reflète dans ce grand bâtiment vitré, attirant l’oeil des passants. Installé dans une rue tranquille de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), le nouveau siège du cabinet d’audit et de conseil Forvis Mazars ne passe pas inaperçu. Entre les quatre bâtiments de cette ancienne biscuiterie, dans le jardin encore partiellement en chantier, des collaborateurs ont déjà pris place pour fumer une cigarette, boire un café ou passer un coup de téléphone au soleil.

Clou du spectacle : au dernier étage, un immense rooftop offre une vue imprenable sur la capitale. « Le bâtiment est magnifique, il y a un effet waouh », résume Marie Le Mauff. De quoi faire oublier à la directrice marketing du groupe que ce déménagement lui a rajouté « un quart d’heure » à son trajet quotidien.

Ces derniers mois, plusieurs grands groupes ont aussi déménagé leurs sièges parisiens. AXA a quitté la Défense pour réintégrer son siège historique, dans le 8e arrondissement. Les importants travaux de rénovation – dont le montant n’a pas été communiqué par l’assureur – ont permis de remettre au goût du jour une salle de réunion offrant une vue sur deux monuments parisiens emblématiques : le Sacré-Coeur et la tour Eiffel. « Il faut réserver six mois à l’avance pour y avoir accès », souffle Karima Silvent, la DRH du groupe.

Améliorer les offres de services

McKinsey a de son côté quitté les Champs-Elysées pour un bâtiment plus spacieux « et qui nous représente plus » dans le 7e arrondissement. En déménageant, les trois groupes ont considérablement amélioré leurs offres de services.

En plus de la salle de fitness, McKinsey se démarque en offrant « une salle de relaxation », AXA, une salle de réception dans un hôtel particulier, et Forvis Mazars mettait à disposition le jour de notre visite les services d’une esthéticienne.

Les dirigeants ont intégré le fait qu’un environnement de travail agréable, c’est un argument pour fidéliser.

Aude Valtier, cheffe de projet aménagement sur mesure chez Morning

Qu’est-ce qui pousse les entreprises à cette surenchère ? « Dans l’esprit des dirigeants, l’espace de travail est devenu un espace de rétention des collaborateurs. Ils ont intégré le fait qu’un environnement de travail agréable, qui répond aux besoins des salariés, c’est un argument pour fidéliser », analyse Aude Valtier, cheffe de projet aménagement sur mesure chez Morning.

Ils n’ont pas tout à fait tort. Selon une étude réalisée par cette entreprise spécialisée dans les espaces de travail et l’institut Appinio, et dévoilée en exclusivité par « Les Echos », les éléments évoqués en priorité par les salariés pour passer une bonne journée de travail sont les moments de convivialité entre collègues (53 %), l’accès à des espaces extérieurs (46 %), une offre de restauration diversifiée (36 %), la possibilité de faire du sport (31 %) et même l’accès à des services de conciergerie (10 %).

Dans un contexte général de retour en arrière sur le télétravail, alors que Société Généraleet Free ont récemment réduit le nombre de jours octroyés à leurs salariés, cette attention particulière accordée à l’aménagement des locaux dissimule un objectif non affiché : faire revenir les salariés au bureau.

Chez Forvis Mazars et AXA, on se réjouit que les collaborateurs soient plus présents dans l’open space depuis le déménagement. « On incite le plus possible les salariés à venir trois jours par semaine au bureau. Pour y arriver, on fait attention à la qualité des locaux et du management », souligne Karima Silvent, la DRH de l’assureur AXA.

Chez McKinsey, qui a déménagé au début du mois de juin, il est encore un peu tôt pour faire le bilan. « Mais c’est ce qu’on espérait », admet Wesley Hayes, associé senior du cabinet de conseil.

« Pouvoir ouvrir les fenêtres, le détail qui fait la différence »

Lors du choix de nouveaux locaux, les entreprises recherchent des espaces qui favorisent les échanges et la collaboration entre les salariés. Les tours verticales de la Défense ont de moins en moins la côte. « A la sortie du Covid on s’est rendu compte qu’on voulait plus d’horizontalité », explique Mathilde Le Coz, DRH du groupe Forvis Mazars.

« Dans une tour, tu ne croises personne parce que, pour te déplacer, tu prends l’ascenseur. Dans nos locaux rénovés, on incite les collaborateurs à prendre les escaliers. Mais l’inconvénient, c’est que les temps de trajet sont plus longs parce qu’on dit bonjour à tout le monde », observe en souriant Karima Silvent, DRH d’AXA. Une politique aussi appliquée chez McKinsey avec un plateau en forme de fer à cheval « pour qu’on puisse aller d’un étage à l’autre de manière fluide ».

Une organisation des lieux qui a des conséquences concrètes sur la productivité au travail. « Ça facilite énormément la transmission de l’information. On n’a pas besoin de bloquer une demi-heure dans l’agenda de quelqu’un pour lui poser une question », constate Aude Valtier, cheffe de projet aménagement sur mesure chez Morning. Quitter la Défense présente aussi un autre avantage qui réjouit Jean-Philippe Mathorez, associé du cabinet Forvis Mazars : « On peut ouvrir les fenêtres, c’est un détail qui fait la différence. »

Pas une cantine, mais une « offre de restauration »

La convivialité passe aussi par un autre aspect, particulièrement important en France : la nourriture. Quand McKinsey a interrogé une centaine de collaborateurs parisiens pour savoir ce qu’ils attendaient de ces nouveaux locaux, « on a reçu beaucoup de points de vue sur la nécessité de créer un environnement de travail sur-mesure, sur l’espace sport mais aussi sur l’offre de la brasserie », constate Wesley Hayes, l’associé qui a chapeauté le déménagement.

Le terme cantine est d’ailleurs proscrit, préférez « offre de restauration » ou, comme chez McKinsey, « brasserie ». « Les bureaux reprennent de plus en plus les codes de l’hôtellerie », observe Aude Valtier. Chez Forvis Mazars, sept « responsables tisaneries » se relaient pour gérer l’ensemble du site ou assurer le roomservice quand les réunions ont lieu à l’heure du déjeuner.

La cantine où on avait coutume de venir s’installer avec son plateau et ses couverts est aussi en train d’évoluer. « De plus en plus souvent, on va l’aménager comme une zone nomade utilisée le midi pour déjeuner mais aussi plus tard dans la journée pour faire un point informel avec un collègue ou comme zone de débordement quand il n’y a plus assez de places dans les openspaces », explique Aude Valtier, cheffe de projet en aménagement de bureaux.

C’est notamment le cas chez AXA où cette zone située au sous-sol est appelée « la place du village » par la DRH. Une manière de répondre aussi aux préoccupations économiques des entreprises, soucieuses d’éviter au maximum les mètres carrés inutilisés : « Ça nous permet d’exploiter 100 % de l’espace du sous-sol », se félicite Karima Silvent, qui glisse tout de même : « j’avais peur que ça sente la nourriture… Mais pas du tout, ça se transforme vraiment en espace de travail ».

Une zone tampon utile pour répondre au casse-tête des entreprises qui déménagent : face à des bureaux qui peuvent être complètement vides le vendredi après-midi et bondés le mardi matin, comment déterminer le bon nombre de postes de travail ?

Pour trouver le bon équilibre, chacun sa technique. « On a fait une étude assez précise de l’utilisation de notre ancien bureau et on a aussi pris en compte ce qu’on anticipait en termes de présence sur place et bien sûr de recrutements », explique Wesley Hayes, de McKinsey, qui a augmenté de 30 % le nombre de postes de travail alors que le nombre de collaborateurs a augmenté de 45 % depuis 2019.

Le bureau individuel, un sujet encore sensible

Les bureaux individuels, quant à eux, se réduisent comme peau de chagrin. « Il n’y en a que deux : celui du président et du directeur général », explique la DRH d’AXA qui a, elle aussi, abandonné son bureau fermé mais privatise une salle de réunion quand elle est présente dans les locaux. C’est également la solution adoptée par Wesley Hayes, associé chez McKinsey, qui utilise l’un des bureaux non attribués présents dans les locaux.

Contraindre des collaborateurs à abandonner leur bureau privé est un sujet parfois sensible. « On associe l’emplacement du bureau à un côté statutaire. C’est un peu comme les options sur la voiture de fonction, c’est vécu comme une forme de reconnaissance », observe Alexandre Pham, qui s’apprête à déménager son cabinet de recrutement, Mistertemp’Group. Mais les mentalités sont en train de changer : « de plus en plus de top managers décident de ne plus avoir de bureaux, même si ça dépend des secteurs d’activité et des typologies de boîtes. Dans l’industrie, par exemple, il y a encore des bureaux parce que certains ont des métiers qui nécessitent du calme et ne veulent pas être dérangés par ceux qui font du calling », explique Aude Valtier.

Les salariés seraient pourtant encore nombreux à privilégier le bureau individuel. Parmi les 500 actifs interrogés par Morning et l’institut Appinio, près de la moitié (44 %) voudrait changer la typologie de leurs bureaux. Parmi eux, 36 % privilégieraient un bureau individuel fermé. C’est le bruit qui est cité comme la première source de perturbation au bureau pour 60 % des répondants, avant le manque ou la mauvaise qualité des outils (47 %).

D’où l’importance de réfléchir à cette problématique au moment de décider de l’aménagement. Les « phone box » et autres lieux pour travailler au calme sont largement présents dans les nouveaux bureaux d’AXA, de Forvis Mazars ou de McKinsey. « Il y a tout un travail qui est fait pour maintenir un niveau sonore acceptable », indique Aude Valtier. Des aménagements qui permettent aussi d’éviter que les collaborateurs décident simplement de… rester en télétravail quand ils ont besoin de se concentrer.

Sarah Dumeau

 

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