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Oui au télétravail, mais pas à 100%

La pratique ponctuelle du télétravail se répand dans tous les secteurs. Il pourrait aussi être tentant de rester travailler chez soi constamment. Frantz Gault, associé du cabinet LBMG, vous met en garde : cela pourrait nuire à la fois au collaborateur et à l’entreprise.

Alors que le  télétravail ponctuel se démocratise, certaines sociétés poussent le concept à l’extrême. Il s’agit d’entreprises distribuées, ou full-remote companies, qui disposent d’une direction générale, d’équipes mais… pas de locaux et dont l’ensemble des collaborateurs télétravaillent constamment. D’autres sociétés proposent des contrats de type full-remote ou « 100 % télétravail » à seulement certains collaborateurs. Une démarche novatrice qui présente cependant des limites.

« Contrairement à ce que l’on croit, le travail à distance est possible dans de nombreux cas », pointe Frantz Gault, associé du cabinet LBMG-WorkLab, spécialiste des transformations du travail. « Les jobs créatifs _ ceux du marketing ou de la communication_ peuvent s’effectuer à 100 % en télétravail. Certains postes juridiques, ou de la comptabilité aussi. D’ailleurs, quand une entreprise externalise sa comptabilité en Pologne ou en Inde, c’est déjà une forme de télétravail permanent » observe-t-il. Quant aux managers, leur rôle pourrait a priori paraître incompatible avec cette pratique. « Manager des salariés en télétravail, c’est comme être en télétravail soi-même. On est déjà dans une relation à distance, peu importe qui est au bureau ou chez soi », avance l’expert. L’important, dans ce cas, est de faire évoluer la posture managériale : il revient au manager de se montrer proactif et d’organiser régulièrement des points virtuels. En revanche, dès lors qu’il est question d’annoncer une nouvelle importante ou de recadrer un salarié, un entretien physique est plus efficace. « La communication ne se résume pas aux mots, mais englobe le regard, la gestuelle et les silences », juge Frantz Gault

Perte de convivialité et d’efficacité

Pour nombre d’entreprises, des contrats à 100 % en télétravail permettent de réaliser de très importantes économies, tout particulièrement dans les grandes capitales, où la location de bureaux représente souvent le deuxième poste de dépenses, derrière la masse salariale. Mieux, pour les grosses sociétés, fermer des locaux peut leur faire économiser des sommes pouvant dépasser le million d’euros. Mais attention au vide créé par une telle pratique. « Garder un camp de base ou un espace de coworking est très important. Cela permet d’organiser des réunions et des conférences, et surtout d’amener de la convivialité dans l’entreprise ; ce qui manque terriblement avec le télétravail à plein temps », assure Frantz Gault. Ainsi, l’assureur Generali loue trois centres de coworking en Ile-de-France, ce qui permet à ses télétravailleurs de garder d’une certaine façon un « bureau » tout en raccourcissant leur temps de trajet.

L’immense majorité des études l’attestent : les salariés sont plus concentrés et donc plus performants chez eux. Ils y  seraient également plus heureux qu’ au bureau. Selon une étude de la Stanford Business School, publiée en 2017, ils seraient précisément 13 % plus performants en travaillant depuis leur domicile. Un pourcentage que Frantz Gault relativise : « Au-delà de 3 jours par semaine, l’effet positif disparaît. On observe une baisse du moral, et donc naturellement de la performance. La fluidité de l’information s’affaiblit, et le télétravailleur se sent isolé et moins concerné. » C’est ainsi que Renault, pionnier du télétravail en 2006, a proposé des semaines incluant 4 voire 5 jours à distance. Mais dix ans plus tard, l’entreprise est revenue sur cette pratique, car d’eux-mêmes, les salariés ne travaillaient pas plus de deux jours hebdomadaires chez eux.

Peu compatible avec les situations de crise et l’innovation

Se retrouver dans des centres de coworking et organiser des séminaires une à deux fois par an est donc important quand on télétravaille. Car tout doit être fait pour maintenir une cohésion d’équipe, tout particulièrement en cas de périodes troubles. Ainsi, en 2013, soit un an après son arrivée à la tête de Yahoo!, Marissa Mayer avait ainsi mis fin au télétravail. La société allait mal, des abus de télétravail étaient constatés et l’implication des salariés lui semblait trop faible par rapport à la situation de crise de l’entreprise. « Elle a déclaré en quelque sorte l’état d’urgence. Il fallait sauver le navire, que les collaborateurs soient engagés à 200 % », se remémore Frantz Gault.

Autre risque : si le télétravail constant limite l’adhésion au projet d’entreprise, il peut aussi parfois nuire à la créativité des employés. « Cette pratique fonctionne mieux avec les tâches relativement répétitives ou solitaires. Quand il s’agit d’être créatif, agile, de travailler en équipe sur des sujets complexes, les réunions physiques sont plus performantes. La confrontation des idées est la base de toute innovation », juge l’expert. Certaines entreprises renoncent donc au télétravail afin de favoriser l’innovation au détriment d’une forme de flexibilité. C’est le cas d’IBM, qui, depuis 2017, a supprimé cette pratique aux Etats-Unis. Les autres géants du numérique _ Apple, Amazon ou Google_ rechigneraient également à accorder cette possibilité à leurs collaborateurs.

Formidable outil, le télétravail favorise la flexibilité et la responsabilité. A condition toutefois de ne pas en abuser et de penser à passer voir les collègues de temps à autre.

Jean-Marie Cunin

 

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