Yann GOURVENNEC, PDG et fondateur Visionary Marketing, interviendra lors de la journée d’actualité « Restez visible à l’ère de l’IA et du zéro-clic »
A cette occasion, découvrez ses réponses à nos 3 questions sur l’impact de l’IA sur les stratégies de contenu.
Comment évaluez-vous l’impact de l’IA sur la stratégie de contenu des entreprises ?
Yann Gourvennec : J’ai commencé ma carrière informatique dans le champ de l’IA. À cette époque, les ricanements résonnaient dans les couloirs du grand constructeur où je travaillais. Quelques décennies plus tard, on a fini de rire. L’intelligence artificielle bouscule nos habitudes et elle est en passe de faire disparaître, à terme, le « vieil » Internet.
Ce bouleversement aura un effet perturbateur important et, en même temps, l’IA (et pas seulement générative) aura un impact fort sur l’innovation et la réinvention d’un secteur qui ronronnait depuis plus de 10 ans.
La transformation des comportements en ligne des clients consommateurs et B2B est profonde. Ainsi, un récent sondage réalisé par Bain &Company démontre que, pour 80 % des consommateurs, 40 % des recherches sur Internet sont dites « zéroclic ». La tendance, réelle, profonde et ancienne, est nettement accélérée par le déferlement prochain de la recherche sur IA[1].
Beaucoup de créateurs de contenus sont en mode panique, car certains ont vu leurs visites baisser de 60 % ces derniers mois. Beaucoup sont même en train d’abandonner la partie. Ainsi, les techniques d’inbound marketing, telles qu’on les a connues ces 30 dernières années, sont caduques.
Pour autant, ce n’est pas la fin du monde. Ce bouleversement nous offre une chance de faire évoluer les choses de manière fondamentale et positive, d’inventer de nouvelles stratégies et d’innover. C’est toujours quand les changements sont profonds et brutaux que l’innovateur brise l’attentisme et prend de l’avance.
Dans les années qui viennent, les marketeurs les plus avisés se tourneront vers les stratégies de marketing communautaire, les approches client innovantes et se serviront de l’Internet non comme d’un piège à « leads », mais comme support à de véritables actions client.
Comment les méthodes de production de contenu doivent-elles s’adapter face à l’industrialisation permise par l’IA générative ?
Yann Gourvennec : L’IA générative a ouvert les vannes d’une production de contenu quasi illimitée. L’ère du contenu rare est révolue ; c’est désormais l’abondance qui pose problème. C’est ce que Mark Schaefer a nommé le « Content Shock » en 2014. 11 ans plus tard, nous atteignons des summums de saturation avec un moteur de recherche dominant qui n’a pas réussi à faire le tri entre contenus synthétiques et humains.
On assiste donc, comme nous le promettait Mark, à un véritable choc du contenu, puissance 1000 : le Web se retrouve inondé de textes et d’images générés automatiquement (la « soupe » de l’Internet ou « slop » en anglais), Suno crache 900 000 morceaux de musique chaque jour quand Jean-Sébastien Bach, le plus prolifique des compositeurs, n’en a écrit que 1 128 dans toute sa vie, les vidéos générées par IA inondent le Web et les faux articles synthétiques sont hébergés par des fermes à clics, pour les plus performants, au rythme de 1 500 articles par jour. Même certains journalistes s’y sont mis, comme ceux de IlFoglio en Italie, ne serait-ce que pour faire le buzz.
Très vite, on frôle l’overdose de contenus formatés sur le même moule. J’avais d’ailleurs anticipé dès 2020, lors d’un webinaire organisé par PushEngage, ce pourrissement du Web, une prolifération de contenus SEO produits à la chaîne par des machines – plus rapides et même, hélas, plus efficaces (d’après les critères purement quantitatifs de certains experts SEO) que des armées de rédacteurs bon marché.
Et de fait, en l’espace de six ans, ces contenus au kilomètre ont envahi la toile à un rythme infernal. Et ce n’est qu’un début. Face à cette industrialisation, les méthodes des marketeurs et des marques doivent évoluer radicalement. Inonder le public de billets génériques n’a plus aucun effet, si ce n’est de saturer des serveurs qui ne sont plus sollicités par les lecteurs.
Il faut donc viser la qualité plutôt que la quantité et redonner du sens à chaque contenu produit, l’autorité et l’expertise, le conseil et la connaissance client. Le contenu exclusif et personnalisé plutôt que la masse. Ce retour de l’autorité (au sens où on « fait » autorité), je l’avais déclaré nécessaire dès 2020. J’ai senti l’incompréhension autour de moi à cette époque. Aujourd’hui, cette logique s’impose à nous.
Concrètement, pour les marketeurs, cela signifie réintroduire de la sélection et de la créativité dans les processus de création de contenus. Par exemple, après quelques mois d’engouement, nous avons constaté que beaucoup d’illustrations générées automatiquement par l’IA sur Visionary Marketing finissaient par lasser : à la longue, c’était répétitif, ennuyeux, visuellement stéréotypé. Ce constat vaut aussi pour les textes.
La parade, c’est de varier les sources, les formats, les approches humaines et automatisées. Il faut mélanger les apports de l’IA et de l’humain et ne pas se contenter de copier-coller ce que la machine propose. Ceux qui ne comprennent pas cela finiront, au mieux, comme correcteurs dans une usine à clics.
À l’inverse, en diversifiant les techniques et en travaillant finement ses prompts, plutôt que de générer tout et n’importe quoi, on peut obtenir des résultats bien plus originaux. En somme, nos méthodes doivent gagner en exigence éditoriale. Cela ne veut pas dire qu’il faut systématiquement rejeter les nouveaux outils, mais qu’il faut les utiliser avec prudence, modération et recul. Et ne pas hésiter à ne pas les utiliser quand cela s’impose.
L’industrialisation par l’IA oblige ainsi le marketeur à hausser le niveau de jeu : plus de vérifications et de recherches en amont, plus de créativité humaine, et une vraie valeur ajoutée dans chaque article ou visuel publié. Ce n’est qu’à ce prix que l’on pourra faire exister ses stratégies de contenus à l’ère de l’IA.
Ainsi, cette question du futur des stratégies de contenu à l’ère de l’IA est davantage stratégique que technique. En clair, avant de s’emballer pour tel ou tel outil IA, il faut se demander pourquoi et pour qui on crée du contenu, et quelle est la place de l’humain dans le processus.
L’IA générative peut se montrer créative et ses apports peuvent dans certains cas se révéler très intéressants, j’en conviens, mais j’insiste : ne sous-traitez pas votre pensée à la machine. Gardez la maîtrise de votre ligne éditoriale et de vos messages ; laissez à l’IA les tâches d’exécution sans valeur ajoutée. En somme, l’IA doit être un adjoint mécanique – elle peut accélérer la recherche ou l’analyse, mais elle ne doit pas se substituer à nos cerveaux.
Je vois trop d’équipes fascinées par les prouesses techniques et qui en oublient pourquoi elles prennent la parole. La seule obsession est de produire pour le plaisir de produire. Or, une stratégie de contenu solide repose d’abord sur une vision claire de son audience et de ses objectifs, pas sur le dernier algorithme à la mode.
Mon évaluation est donc pragmatique : l’IA peut décupler l’efficacité à condition de rester au service d’une démarche éditoriale réfléchie, pilotée par l’humain, et non l’inverse. C’est là, à mon sens, le vrai impact : nous rappeler que la technologie n’a de sens que guidée par une stratégieéclairée.
En résumé, tout le monde est obsédé par les méthodes de production de contenus et l’automatisation, c’est votre question, mais le vrai sujet est stratégique et celui-là est rarement bien abordé. Or, si vous savez ce que vous devez écrire, il y a de fortes chances pour que la façon dont vous l’écrivez (ce texte a été dicté directement dans mon mobile) ait moins d’importance que le contenu que vous créez et que les audiences pour lesquelles vous le créez.
Vous avez souligné que l’IA peut automatiser la création de contenus à faible valeur ajoutée. Comment les marques peuvent-elles se différencier en produisant des contenus authentiques et engageants ?
Yann Gourvennec : C’est un enjeu crucial. Effectivement, tout ce qui est contenu générique, répétitif, sans âme – billets SEO basiques, descriptions produits passe-partout, etc. – peut aujourd’hui être pondu par une IA en quelques secondes. Mais justement, si tout le monde utilise les mêmes outils pour générer le même type de contenu insipide, la différence se fera sur l’authenticité et la personnalité.
Pour qu’une marque se distingue, elle doit remettre de l’humain dans la boucle, plus que jamais. Cela passe d’abord par l’éditorial : un ton, un point de vue, une expertise réelle que l’on ne peut pas simuler avec un simple prompt. J’aime dire que l’IA doit s’occuper des corvées et laisser la pensée à l’humain. Concrètement, aux machines les tâches laborieuses (compilations de données, reformulations de base, corrections grammaticales), et aux créateurs la vision, la créativité, l’émotion, l’expérience et l’expertise.
On imagine l’impact de la soupe IA sur la réputation d’une marque. Il s’agit d’un jeu dangereux et qui ne rapportera même pas quelques clics, comme nous l’avons vu ci-dessus.
Partagez des anecdotes vécues, des études de cas spécifiques, un regard vraiment original sur votre secteur – bref, tout ce qui révèle la substance humaine derrière la marque – au bénéfice de vos clients et prospects.
C’est d’ailleurs pour cela que j’ai créé humansubstance.com avec quelques amis créateurs de contenus. Une bande d’irréductibles blogueurs déterminés à penser et rédiger avec leurs mains et leurs cerveaux, pas avec des automates.
L’idée n’est pas d’être passéiste, car nous sommes tous des acteurs de l’IA à divers niveaux, mais de montrer que la richesse d’un contenu vient de l’intelligence humaine qu’il contient. Un article de 4 000 mots rédigé de la main de l’homme aura toujours plus de personnalité qu’un texte de même taille généré en trois secondes par ChatGPT – même si, techniquement, le résultat est correct. D’autant plus que le temps mis à vérifier ces 4 000 mots générés par L’IA sera probablement plus long que celui nécessaire à son écriture.
Alors, comment créer un contenu authentique et engageant ? D’abord, en étant honnête avec son audience : ne pas chercher à faire passer un contenu automatique pour une pensée originale. Ensuite, en étant exigeant : si vous utilisez l’IA, réservez-lui un rôle d’aide à la créativité (pour tester des idées, gagner du temps sur des tâches subalternes, rechercher de l’information, la croiser et enrichir vos réflexions à condition de lire les sources). Le style a pour moi beaucoup moins d’importance. Hervé Letellier l’a constaté à ses dépens. Les IA écrivent et imitent très bien.
Enfin, n’ayez pas peur de la singularité : prenez des angles que personne d’autre n’a choisis, quitte à aller à contre-courant des tendances. C’est ainsi que vous apporterez une valeur unique. En résumé, l’IA peut remplir Internet de textes et d’images sans saveur, mais c’est une bien mauvaise voie à suivre.
Utilisez donc l’IA pour ce qu’elle sait bien faire (ce que j’appelle « descendre les poubelles », chercher des sources, vérifier des faits, contrôler votre grammaire, compter les mots[2], corriger les virgules…), mais pas pour penser à votre place.
J’ai entendu des oppositions à ce discours, me disant que j’étais trop « bisounours» et que la messe était déjà dite, que tous les créateurs de contenu seraient remplacés par des machines. C’est effectivement déjà le cas pour le contenu SEO.
Dans ce dernier cas, s’il s’agit par exemple de définitions produits sur 3500 baskets toutes plus ou moins semblables sur un site e-commerce, l’IA fait assurément un bien meilleur travail que des humains. Celui-ci est répétitif et inintéressant et sans aucune valeur ajoutée. Générer des textes produits à partir d’une base de données est d’ailleurs un exercice assez ancien, notamment dans l’immobilier. Mais pour la plupart des marques, là n’est pas la question.
Quels clients, en effet, sont demandeurs de contenus de marques écrits par une machine ? Quant au B2B, c’est complètement inenvisageable : auriez-vous envie d’embaucher un ingénieur qui vous donne des conseils en cyber sécurité sur le blog de son entreprise, alors que ce texte a été produit par une IA ? S’il s’agit de la transcription d’une interview ou d’un enregistrement personnel, alors certes, la machine aura fait le sale travail et c’est tant mieux. D’ailleurs, les journalistes et créateurs de contenus travaillent avec des outils comme Trint ou Gladia depuis de nombreuses années. Sinon…
Si certains créateurs de contenus se découragent face à ces changements, cela est un signe qu’il y a de la place pour innover et les prendre de vitesse.
Les entreprises devraient entendre ce conseil.
Retrouvez Yann GOURVENNEC lors de la journée d’actualité Restez visible à l’ère de l’IA et du zéro-clic le mardi 1erjuillet à Paris (et en visio) qui interviendralors de la table ronde “Se preparer à l’ère de l’IA generative et du no click research: quelles stratégies de contenu adopter pour sortir du lot ?”
[1] Je vous épargnerai le traditionnel « Google est-il mort ? », la société a assez de cash pour durer 100 ans, mais c’est peut-être le début de la fin d’une époque et d’une hégémonie, hypothétiquement accélérée par une probable procédure de démantèlement. Mais la période qui finit est dans tous les cas moins importante que celle qui s’ouvre devant nous.
[2] Et encore, Claude.ai y arrive à peu près, ChatGPT pas du tout, malgré mes nombreuses tentatives…