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Intelligence artificielle : les vrais enjeux de la formation

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L’intelligence artificielle va s’immiscer dans tous les secteurs. Mais, si son utilité est justement de corriger nos erreurs, de prévoir à notre place, bref de faire notre travail, il ne faut pas pour autant en déduire que l’on peut se passer de l’acquisition de nouvelles compétences. Bien au contraire.

Si le principe de l’intelligence artificielle (IA) est d’apprendre de nous, pour nous aider, alors pourquoi devrions-nous nous former à son utilisation ? Google corrige de lui-même les fautes d’orthographe et oriente les résultats de recherche (notamment) en fonction de l’historique de l’utilisateur.

Certains claviers de smartphone en mode « saisie automatique », comme avec Swype, personnalisent les suggestions de mots selon les usages de chacun. Une fois que l’on sait se servir de l’outil, l’IA est justement là pour nous corriger ou s’adapter à nos habitudes.

« Si vous attendez de la machine qu’elle apprenne de vous, surtout ne changez pas votre manière de faire »

enchérit François Geuze, conseiller en ressources humaines. « Votre but dans ce cas est de récupérer un grand nombre de données pour que l’algorithme puisse induire, c’est-à-dire dégager des règles en fonction de la répétition de situations. Par exemple, ajouter une formule de politesse automatiquement à la fin de vos mails. » A moins de vouloir devenir ingénieur ou data scientist, les collaborateurs « de métier » peuvent donc se demander à quoi bon se former à cette nouvelle technologie.

Seulement, dès qu’un nouvel outil arrive, il faut un accompagnement : « Quand les ordinateurs ont été installés dans les bureaux, des formations à l’utilisation de la souris étaient proposées », se rappelle Sylvain Duranton, senior partner au Boston Consulting Group (BCG). Selon une étude de ce cabinet publiée le mois dernier, les dirigeants, les managers et les salariés interrogés estiment que l’un des trois défis de l’IA consiste à « adapter et renforcer les compétences des salariés ».

Christophe Tricot, docteur en informatique et manager chez Kynapse, abonde dans ce sens avec un autre exemple : « Une grande banque française avait installé le robot conversationnel Pepper dans son siège social. Et les employés se sont rendu compte que c’était en décalage avec ce qu’on leur avait vendu. » Car on ne s’adresse pas au petit robot n’importe comment et, si on ne lui parle pas comme il faut, il ne répond pas. « Les employés ont fini par accrocher un mode d’emploi à côté. »

 Savoir interpréter l’algorithme

Tous les systèmes d’IA ne sont donc pas aussi conciliants que la barre de recherche de Google. Mais, lorsqu’ils le sont, c’est peut-être à ce moment qu’il faut savoir ce qu’il y a sous le capot. « C’est au niveau éthique qu’il va y avoir des questions, sur comment les résultats doivent être interprétés, explique Maïté Amourdon,

Ingénieure en informatique chez l’un des plus grands éditeurs de logiciels européens. Si un manager vient me dire que je n’ai pas été assez performante en se basant sur l’IA et que j’estime que c’est faux, il faut que je puisse prouver que la méthodologie ne permet pas de refléter la réalité, il faut être en mesure de fournir une contre-preuve. » Il s’agit par exemple de savoir si la machine se concentre trop ou pas assez sur les données liées à la productivité, à la valeur ajoutée ou encore à la satisfaction client.

Maïté Amourdon indique aussi qu’une IA chargée de trouver les meilleurs candidats pour un emploi pourrait très bien « faire ressortir les CV des hommes blancs de 40 ans parce que l’entreprise est déjà comme ça. » Le logiciel aura alors induit que ces individus sont de meilleures recrues en donnant une importance faible aux compétences et forte à l’apparence parce que… c’est ce que font les humains dans cette entreprise, et la machine apprend de l’humain. Elle peut donc reproduire nos préjugés.

Selon l’ingénieure en informatique, « savoir interpréter l’algorithme demande davantage une connaissance méthodologique que technique ». Cette capacité à comprendre requiert donc des compétences logiques ; une augmentation des ventes de 150 % ne veut rien dire si on ne connaît pas le chiffre absolu de départ. Et c’est encore moins pertinent si les variables qui permettent d’expliquer cette augmentation ne sont pas intégrées par l’IA.

Par exemple, si, dans un magasin, la vente de parapluies augmente subitement, mais que l’IA ne prend pas en compte la météo, alors qu’il n’a pas cessé de pleuvoir, la machine conclura abusivement que la hausse est liée à l’équipe de vente ou encore au modèle de parapluie. L’humain est le seul à connaître les variables, mais il ne sait pas dans quelle mesure elles sont déterminantes, c’est justement ce qu’il demande à l’algorithme. Et pour choisir les données pertinentes à digérer, les gens de métier sont les mieux placés.

« Le collaborateur qui participe à la création d’une IA va devoir expliciter les règles, ses tâches au quotidien et comment il les aborde, parce que souvent les choses sont cachées », ajoute Christophe Tricot de Kynapse. Se former à l’IA, c’est donc savoir aussi parler de son fonctionnement quotidien, même lorsqu’on n’y prête pas attention et, encore mieux, le formaliser avec des règles. Par exemple : « S’il n’y a plus de papier dans la photocopieuse, alors il faut en remettre dans le tiroir. » Les règles en « si… alors… » (implication logique) sont facilement formalisables en langage informatique.

Vers un management agile

« Ceux qui sont sur le terrain sont aussi ceux qui peuvent dire si le modèle construit par l’IA fait fausse route ou non », indique Maïté Amourdon. Ils sont donc en mesure de juger l’algorithme et de suggérer des corrections.

« Aujourd’hui, c’est la grande révolution de l’agile : tout se fait en parallèle, on utilise, on construit, on conçoit ensemble », poursuit Sylvain Duranton du BCG. « Un risque énorme est la perte du savoir-faire métier. Car c’est le savoir-faire qui permet de perfectionner les outils. » Un opérateur peut se contenter de suivre les instructions d’une IA sans lui-même savoir comment la perfectionner. C’est à ce moment que son emploi est menacé, pas tellement par l’IA, mais par la baisse du niveau de compétence requis : plus besoin d’être qualifié pour faire son job.

Si l’opérateur en revanche connaît suffisamment bien son métier pour identifier ce qu’il peut améliorer, quelles tâches il pourrait déléguer à la machine pour se concentrer sur autre chose, alors il devient un acteur indispensable de la perfection de son outil et de son travail. Se former à l’IA, en ce sens, c’est autant savoir ce que peut la machine qu’être passé maître de son art et savoir, avec créativité et ingéniosité, l’améliorer.

Rémy Demichelis

 

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