Ressources humaines

Opinion | « Quiet quitting » : où l’on redécouvre les stratégies de retrait du travail

Le quiet quitting

Redécouvrir sous l’étiquette du « quiet quitting » l’existence de stratégies de retrait du travail qui existent depuis la mondialisation (mais se sont accélérées après la crise du Covid) conduira peut-être les entreprises à repenser leur fonctionnement pour dépasser – enfin ? – le taylorisme.

« Quiet quitting », « démission silencieuse » ! Difficile d’échapper au buzz popularisé sur TikTok par cet anglicisme décrivant l’actuel désengagement du travail de la part des salariés. Chacun y va de son opinion pour tenter d’expliquer la situation, de l’accusatoire « jeunes partisans du moindre effort » au sempiternel « collaborateurs en perte de sens ». Ignorant que ce phénomène, analysé avec rigueur depuis plus de cinquante ans par les sciences sociales, porte un nom : les stratégies de retrait du travail.

Ces comportements ont pris de l’ampleur quand les entreprises, confrontées à une concurrence mondiale exacerbée, ont tenté de fonctionner différemment. Quand leur modèle taylorien d’exécution de tâches précises et successives ne permit plus d’obtenir un niveau satisfaisant de qualité et de réactivité, elles demandèrent aux salariés des efforts supplémentaires pour faire preuve d’adaptabilité et de coopération. Et par peur de perdre le contrôle de l’exécution de tâches désormais moins définies et plus complexes, elles multiplièrent les procédures, les indicateurs et les pratiques coercitives de management. Créant ainsi un cadre stérile, voire stressant, de plus en plus démotivant pour les salariés.

Pendant le confinement, les salariés ont « fait le job »

La question est donc moins de savoir si ce phénomène bien connu existe que de comprendre les causes de son accélération, particulièrement chez les jeunes générations. Les études que nous menons et enrichissons depuis trois ans auprès de diverses organisations publiques et privées nous ont permis de comprendre que, si les situations diffèrent d’un contexte à l’autre, quelques enseignements généraux expliquent la situation actuelle.

Les études montrent en effet que la pandémie a profondément changé le rapport des salariés à l’autonomie. Car dans la majorité des cas, ils ont su gérer avec succès cette crise hors normes en s’affranchissant de process et de contrôles inadaptés pour se concentrer avec leur encadrement de proximité sur l’essentiel. Ils ont « fait le job », quand bien même le risque sanitaire était angoissant, passant d’une espérance à une expérience réussie de fonctionnements en confiance.

Les entreprises sont revenues aux pratiques anciennes

Pourtant, très peu d’organisations ont engagé le travail nécessaire pour capitaliser sur les acquis de cette période. La plupart sont revenues aux pratiques anciennes de défiance, de contrôle, de reportings qui alimentent d’autant plus puissamment les stratégies de retrait qu’elles sont la négation du remarquable esprit des équipes pendant la pandémie.

Quand on pousse plus avant les investigations, on comprend pourquoi la défiance envers le télétravail accentue particulièrement les stratégies de retrait du travail. Car nombre de sociétés ont posé un cadre rigide, uniforme et limité – un lundi ou vendredi télétravaillé est souvent vu comme un week-end prolongé – pour forcer les collaborateurs à revenir « au travail ». Déjà démotivant pour les raisons expliquées plus haut, une grande part du travail qui aurait pu être fait à distance se voit désormais imposé sur site. Sous couvert de socialisation indispensable ou d’équité envers celles et ceux qui par la nature de leur travail ne peuvent l’effectuer à distance, un retour forcé dans des locaux devenus des flex offices impersonnels a pour justification souvent inavouable de s’assurer que les gens travaillent réellement.

Le salarié prend l’employeur à son propre jeu

Les salariés prennent alors les entreprises à leur propre jeu : puisqu’on les prive excessivement d’autonomie et qu’on gaspille leur temps dans les transports sans véritable raison, ils n’ont en retour aucune raison de faire davantage que ce qui est stricto sensu dans leurs attributions. Et réservent leur supplément d’engagement aux sphères privées ou associatives. Redécouvrir sous l’étiquette du « quiet quitting » l’existence de stratégies de retrait du travail amènera peut-être les entreprises à profondément repenser leurs fonctionnements pour dépasser – enfin ? – le taylorisme. Car l’intensité du phénomène actuel atteste que, comme pour le climat, il y a urgence.

Sébastien Olléon

 

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