Santé au travail - QVT

« On n’est pas tous médecins urgentistes : la plupart des e-mails peuvent attendre 24 heures ! » : les dangers de l’hyperconnexion en vacances

« On n'est pas tous médecins urgentistes : la plupart des e-mails peuvent attendre 24 heures ! » : les dangers de l'hyperconnexion en vacances

Peur de rater quelque chose, difficulté à compartimenter la vie perso et la vie pro… Un tiers des salariés consultent ponctuellement leur messagerie pro en vacances. Cette hyperconnexion fait pourtant courir des risques d’épuisement professionnel, préviennent plusieurs experts

Se prélasser au soleil sur la plage et puis, tout d’un coup, penser au projet qu’on n’a pas eu le temps de finir avant de partir et envoyer un e-mail à son équipe pour leur rappeler l’échéance. Consulter sa messagerie Teams entre deux visites touristiques, pour être sûr de ne rien rater. Si vous vous reconnaissez dans ces situations, alors vous faites partie des 48 % de Français qui déclarent ne pas réussir à rompre totalement avec le travail pendant leurs vacances. 

Selon une étude réalisée par l’institut CensusWide pour la plateforme de recherche d’emploi Indeed, 28 % des salariés français consultent ponctuellement leurs messages professionnels pendant leurs congés. Un salarié sur cinq (19 %) déclare même ne pas parvenir à se déconnecter du tout, révèle cette enquête menée auprès de 1.103 salariés et demandeurs d’emploi. 

Malgré l’inscription du droit à la déconnexion dans la loi depuis 2016, « les vacances et les temps de repos sont brouillés par les sollicitations numériques, qu’elles soient exigées par le management ou que le salarié se l’inflige parce qu’il n’arrive pas à sanctuariser son temps pro et son temps perso », constate le psychologue du travail Christophe Nguyen. 

« La plupart des e-mails peuvent attendre 24 heures ! » 

Les plus jeunes sont davantage concernés avec seulement 38 % des membres de la génération Z et 45 % des millennials qui parviennent à une déconnexion complète pendant les congés, contre 55 % des membres de la génération X et 67 % des baby-boomeurs. 

« Ils subissent des préjugés : un jeune en télétravail le lundi, on imagine qu’il récupère de sa soirée du week-end… Donc, ils ressentent la nécessité de prouver qu’ils travaillent réellement en étant très réactifs aux messages et e-mails », observe Eric Gras, spécialiste du marché de l’emploi pour Indeed France. Une hyperconnexion qui se poursuit pendant les congés. 

Et à laquelle s’ajoute un autre facteur qui empêche de décrocher : la peur de rater quelque chose. « Cette peur de manquer génère une fatigue mentale importante. Pourtant, on n’est pas tous médecins urgentistes : la plupart des e-mails peuvent attendre 24 heures ! », rappelle l’expert d’Indeed. 

Le fait que les plus jeunes aient grandi avec la technologie n’améliore pas la situation, d’autant plus que les outils pros sont souvent installés sur le téléphone perso. « C’est plus difficile de déconnecter avec le smartphone, voire la montre connectée », explique le spécialiste du marché de l’emploi. 

Télétravailler à la plage 

Au-delà d’un manque d’autodiscipline, 11 % des salariés estiment que leur entreprise attend d’eux qu’ils restent joignables, même pendant leurs absences. Et 5 % des recruteurs admettent attendre de leurs salariés qu’ils restent attentifs à l’activité pendant leurs congés. 

« Il y a une certaine hypocrisie de la part des entreprises parce qu’elles disent que la déconnexion est importante mais moins de 20 % d’entre elles mettent des choses en place pour s’en assurer », regrette Eric Gras. 

Les entreprises devraient piloter la déconnexion de leurs salariés comme des indicateurs financiers. 

Christophe Nguyen, psychologue du travail 

« La récupération mentale des salariés n’est pas suffisamment prise en compte. Les entreprises devraient piloter la déconnexion de leurs salariés comme des indicateurs financiers ! Ne pas en tenir compte, c’est une erreur parce que ça épuise les gens qui ne rechargent pas suffisamment leurs batteries. Ça génère de la fatigue psychologique qui peut conduire au burn-out », alerte Christophe Nguyen, fondateur du cabinet Empreinte humaine. 

Selon ces experts, c’est aux entreprises de prendre les devants en intimant à leurs salariés de couper les notifications ou ne pas répondre aux messages reçus pendant leurs congés. 

Une autre tendance participe à brouiller un peu plus les frontières entre vie perso et vie pro. Il s’agit des « tracances » ces congés prolongés par quelques jours de télétravail loin du bureau, dans un cadre de vacances. Selon l’étude d’Indeed, 34 % des salariés y ont déjà eu recours. 

Une possibilité appréciée des cadres mais qui n’est pas sans risque. « On s’est rendu compte que c’est hyper vicieux comme système parce que les gens ne coupent pas », observe Eric Gras. Reconnaissants que leur employeur leur offre cette possibilité, « les salariés se disent qu’ils doivent rendre cette liberté sous une certaine forme » et ont tendance à se mettre davantage la pression, constate-t-il. 

A cela s’ajoute la crainte de passer pour un fainéant, si on ne répond plus après 16 heures alors que tout le monde sait qu’on télétravaille depuis une maison de vacances en Normandie… « L’objectif des vacances ce n’est pas juste de télétravailler depuis un endroit agréable mais de ne plus penser au travail. On a besoin de temps avec zéro travail, les tracances ça marche moins bien », tranche Christophe Nguyen. 

Par Sarah Dumeau 

 

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