Ressources humaines

« Les gens se croient sur une application de rencontre » : ces candidats à un poste qui disparaissent sans prévenir

Ces candidats à un poste qui disparaissent sans prévenir

On connaissait le « ghosting » des recruteurs qui ne donnent plus jamais de nouvelles après un entretien : les candidats leur rendent désormais la pareille. Un phénomène qui reste toutefois rare et pourrait ne pas perdurer, estiment plusieurs observateurs.

Postuler à une offre d’emploi, obtenir un entretien pour finalement… ne jamais se présenter devant le recruteur sans l’avoir prévenu au préalable. Ce phénomène, appelé « ghosting », en référence à la pratique qui consiste à mettre fin à une relation en cessant brutalement toute communication, serait de plus en plus fréquent, estiment plusieurs professionnels des ressources humaines.

« Il m’est arrivé d’appeler un candidat que j’attendais pour un entretien et qu’il me dise : ‘ah je ne vous avais pas dit ? J’ai abandonné’ », raconte, encore surpris, Alexandre Malarewicz, DRH d’Empowill. « Il y a un côté un peu déshumanisé : les gens se croient sur une application de rencontre », constate-t-il.

Selon une étude menée par OpinionWay pour Indeed en 2023, 25 % des répondants ont déjà coupé le contact avec un recruteur pendant la phase de recrutement parce qu’ils n’étaient finalement pas intéressés par le poste. Un chiffre qui grimpe à 33 % chez les moins de 30 ans. Pire, certains cessent de se manifester… après avoir accepté le poste. Quelque 18 % des 1.138 salariés interrogés par OpinionWay ont déjà quitté un emploi sans démissionner, mais en cessant de donner des nouvelles. Un phénomène qui concerne 25 % des moins de trente ans.

Pratique nouvelle chez les cadres

Au doigt mouillé, les recruteurs interrogés par « Les Echos » estiment de leur côté que le phénomène reste assez rare et concernerait entre 1 et 8 % des recrutements réalisés l’année dernière. Il ne concerne pas la totalité des secteurs.

« Pour ghoster, il faut avoir le choix », résume Alexandre Malarewicz. Les domaines les plus concurrentiels y sont donc particulièrement confrontés. « Les candidats qu’on recrute reçoivent en moyenne quatre à cinq offres en même temps », relève Mathilde Le Coz, DRH du cabinet de conseil, de fiscalité et d’audit Forvis Mazars qui constate « plusieurs dizaines » de candidats déserteurs sur les 1.500 recrutements réalisés chaque année.

Mais qui sont ces candidats fantômes ? Si la pratique a toujours existé sur les profils plus précaires qui acceptent un emploi en attendant de trouver mieux, elle est relativement nouvelle chez les cadres et serait davantage le fait des moins de trente ans, selon plusieurs observateurs. Un constat confirmé par les chiffres d’OpinionWay.

Ce sont les mauvais process de recrutement qui créent les candidats qui ghostent.

Mick Nertomb, candidat ghosteur

« La nouvelle génération recherche davantage d’équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle. C’est souvent ce que les entreprises vendent mais les candidats s’aperçoivent parfois à l’entretien ou dès les premiers jours que ce n’est pas le cas : ils préfèrent partir », explique Floriane Boyer, consultante en ressources humaines.

Autre piste d’explication : « les jeunes sont moins à l’aise avec la confrontation », estime Mathilde Le Coz. « Il y a peut-être un manque d’habitude des processus de recrutement », observe Alexandre Malarewicz, qui constate beaucoup ce phénomène avec les alternants.

La lenteur du processus de recrutement est aussi pointée du doigt par les auteurs d’une étude réalisée en 2023 par l’Ifop pour la solution RH Yaggo. Avec le risque que le candidat « ne se sente pas considéré » ou que le parcours dans une autre entreprise soit plus rapide.

Souci de « vengeance » face aux recruteurs

Enfin, alors que le « ghosting » des candidats par les recruteurs existe depuis toujours et dans un marché du travail qui s’était inversé, post-Covid, à la faveur des candidats : « il y a peut-être un souci de vengeance des années précédentes face à des recruteurs qui n’ont pas été très rigoureux dans leurs façons de gérer leurs process », observe Christophe Chupin, directeur exécutif du cabinet de recrutement PageGroup. Il estime toutefois que le rapport de force étant désormais plus favorable aux entreprises, « le phénomène pourrait ne pas perdurer ».

Selon l’étude réalisée par l’Ifop pour Yaggo, 82 % des répondants ont déjà vécu une mauvaise expérience lors d’un processus de recrutement. Parmi les causes de cette déception, 62 % évoquent le fait de ne jamais avoir reçu de réponse suite à une candidature et 40 % l’absence de retour après un entretien.

C’est ce qui a convaincu Mick Nertomb, content manager de 34 ans, de ghoster une grosse start-up française il y a quelques années. « J’avais déjà passé trois entretiens mais les interlocuteurs n’avaient vraiment pas l’air passionnés, on aurait dit qu’ils étaient là par obligation… Ils ne me donnaient pas envie de rejoindre l’entreprise », raconte-t-il. Alors, quand on lui propose de passer à la quatrième étape, il arrête simplement de répondre.

Aujourd’hui, Mick Nertomb n’en a pas honte. « Ce sont les mauvais process de recrutement qui créent les candidats qui ghostent », explique-t-il. « En tant que candidat, on subit tellement le rapport de force en faveur des entreprises : on a l’impression d’être juste un numéro, on s’investit parfois énormément dans les candidatures et on n’a même pas de réponses. Donc, paradoxalement, il y a un côté assez jouissif quand on peut inverser les rôles », assume-t-il.

Reste que, pour les RH, le ghosting des candidats peut être frustrant. Notamment quand il intervient à la fin du process, quand le candidat rencontre la direction. « La dernière fois, je devais recruter une commerciale. A la suite de l’entretien avec la direction le poste était confirmé mais elle me dit que, finalement, elle ne préfère pas. En fait, la direction lui avait demandé si elle cherchait à avoir des enfants et lui avait dit que c’était un manque de respect si elle tombait enceinte dans les douze à vingt-quatre mois ! », se désole encore la consultante RH Floriane Boyer. Une question pourtant interdite par le Code du travail.

« Il faut vraiment former la direction et les managers aux entretiens parce que c’est souvent à cette étape-là qu’on a une fuite des candidats », observe-t-elle. Dans ce type de cas, « il faut recommencer tout le processus de recrutement si on a déjà fait les retours négatifs aux candidats non retenus… C’est énormément de temps perdu », regrette Floriane Boyer.

Sarah Dumeau

 

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