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« Les entreprises ont intérêt à anticiper, au risque qu’il y ait des clashs » : ces dossiers qui vont faire transpirer les responsables de ressources humaines

Les professionnels des ressources humaines ont un rôle complexe en entreprise, à devoir faire la jonction entre dirigeants et salariés. L’année à venir s’annonce dense, avec des sujets d’importance : transparence des salaires, télétravail, intelligence artificielle, emploi des seniors… « Instable. » C’est ainsi que Benoit Serre décrirait l’année à venir pour les professionnels des RH. La faute notamment « aux grandes inconnues politiques, et donc budgétaires, qui peuvent conduire à des tensions sociales », avance le coprésident du cercle de réflexion Cercle Humania, qui réunit 600 DRH.

« Dans un environnement pour le moins complexe et assez anxiogène pour beaucoup », charge aux RH de « faire de l’entreprise un lieu de stabilité et d’avenir ». Et ils ont du pain sur la planche, car l’année sera chargée en sujets délicats.

Meilleure transparence sur les salaires

C’est un chamboulement majeur, qui risque de créer des tensions en entreprise. Une directive européenne adoptée en 2023 doit être transposée en droit français d’ici à juin 2026. Elle vise à lutter contre la discrimination en matière de rémunération, notamment entre les femmes et les hommes.

Les salariés pourront demander les moyennes de rémunérations, par sexe et par catégorie de personnes accomplissant un travail de même valeur. Les victimes de discrimination en matière de rémunération fondée sur le sexe pourront « recevoir une indemnisation, y compris le recouvrement intégral des arriérés de salaire et des primes ou paiements en nature qui y sont liés », précise le Conseil de l’Union Européenne.

« Malheureusement, il y a encore des inégalités. Les entreprises ont intérêt à anticiper cette directive et à rattraper les écarts injustifiés rapidement, au risque de beaucoup de clashs », avance Léo Bernard, cofondateur de Blendy, une entreprise qui forme les recruteurs et managers.

Autre changement de taille : les employeurs qui recrutent devront faire connaître, dès l’offre d’emploi ou avant le premier entretien, le salaire de départ proposé ou une fourchette de rémunération. Les recruteurs n’auront plus le droit de demander combien gagnaient les candidats lors de leurs précédentes expériences, alors que beaucoup basaient leurs négociations là-dessus.

Retenir les talents sans carotte financière

Autre défi à relever pour les RH : fidéliser les salariés, alors que les augmentations de salaires en 2026 s’annoncent faibles. Selon une poignée de cabinets de conseil et de recrutement interrogés par « Les Echos », les entreprises prévoient des hausses autour de 2 % de la masse salariale. En cause : une activité économique contrainte, une incertitude politique et géopolitique, et une inflation assez faible.

« A défaut de proposer des augmentations significatives, les RH doivent trouver d’autres moyens de garder leurs effectifs motivés. Surtout les personnes qualifiées chez qui le chômage est plus bas que la moyenne, et qui peuvent donc être tentées d’aller voir ailleurs », souligne Maud Grenier, cofondatrice du Temple RH, un centre de formation destiné aux RH.

Le tout étant de leur proposer des avantages adaptés à leur profil. « Il existe une multitude d’options, moins coûteuses pour l’entreprise qu’une augmentation de salaire, car plus ponctuelles et moins taxées, et qui ont un vrai impact positif sur le quotidien des salariés », développe Maud Grenier, également organisatrice du Festival RH. Si les entreprises emploient beaucoup de jeunes parents par exemple, il peut être pertinent de réserver des places en crèche, d’offrir des jours de congé payé pour enfant malade, d’être plus flexible sur les horaires de travail…

Prendre la vague de l’intelligence artificielle

ChatGPT lancé par OpenAi fin 2022 marque un tournant technologique. Depuis, nombre d’entreprises ont adopté un outil d’IA interne, permettant une utilisation sécurisée de l’IA générative. « Il reste à former les salariés à de vrais cas d’usage, pour qu’ils puissent se servir de l’IA au quotidien pour effectuer certaines tâches », avance Léo Bernard, également coauteur de « Permis de recruter » (Ed. Eyrolles, novembre 2024).

Le rôle des RH est majeur et double. « Ils doivent intégrer l’IA dans leurs propres process et métiers et en parallèle accompagner les services de l’entreprise dans l’adoption de l’IA », explique Pour Benoit Serre.

Former pour rester dans la course

Former ses salariés a un coût, mais ce doit être une priorité, d’après Léo Bernard. « Cela permet d’avoir des salariés contents, performants, et pas moins compétitifs que des gens à l’externe. » Mais pour lui, les RH doivent réfléchir aux méthodes d’apprentissage des formations qu’ils sélectionnent. « Celle où on reste assis sur sa chaise toute la journée à écouter un formateur n’est pas toujours probante, on n’en retient pas nécessairement grand-chose… Mieux vaut quelque chose de participatif, moins descendant. Et pas forcément un one shot, mais un apprentissage plus régulier, qui peut se faire par exemple pour partie en présentiel et pour partie en ligne, au moment opportun pour le collaborateur. »

Certaines start-up proposent par exemple de former les salariés de façon continue et ludique, avec des exercices quotidiens de quelques minutes. C’est le cas par exemple de Moka. care qui a créé des exercices sur la santé mentale.

Télétravail : stop ou encore ?

Les entreprises sont plutôt discrètes quand elles serrent la vis sur le télétravail, car cela est souvent perçu comme en recul. Parmi celles qui bougeront en 2026 : la Société Générale. A partir de septembre, les collaborateurs auront droit à un jour de distanciel par semaine maximum, contre deux jusqu’alors.

Faut-il anticiper un grand mouvement d’employeurs qui sabreraient dans le télétravail ? Non, répond Caroline Diard, professeure au département management des ressources humaines et droit à TBS Education. « Il est peu probable que les entreprises avec un modèle hybride imposent un retour en 100 % présentiel. En revanche, on peut prévoir, que certaines s’ajustent, en imposant des jours de présence ou en réduisant le nombre de jours de télétravail autorisés, comme certaines l’ont fait en 2025. »

Ces changements auront des conséquences directes sur les professionnels des RH. « Le télétravail est un outil d’attractivité. Revenir dessus peut compliquer la fidélisation des salariés et le recrutement de candidats. »

La santé mentale, priorité des RPS

Le Gouvernement a fait de la santé mentale la grande cause nationale 2025. « En 2026, ce sujet sera encore en haut de la pile des préoccupations des DRH », estime Benoit Serre. Concernant la prévention des risques psychosociaux (RPS), des efforts ont été faits, avec des initiatives variées : ligne d’écoute gratuite, consultations offertes avec des psychologues, formations pour devenir « secouriste en santé mentale »…

« Il y a une capacité de prévention et d’intervention plus rapide qu’avant », souligne Benoit Serre. « Mais dans les TPE, PME, petites ETI, il y a encore beaucoup de choses à faire », ajoute Audrey Richard, présidente de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines.

Au-delà des initiatives récentes, les RH doivent veiller à ce que l’environnement de travail reste sain. « C’est bien de panser les plaies mais le mieux, c’est de les éviter », soulève Léo Bernard, qui rappelle l’importance de former les managers. En cas de problème, les RH doivent prendre des mesures concrètes. « Si un salarié les informe d’un comportement problématique d’un manager, ils doivent enquêter et le sanctionner si les faits sont avérés. Trop souvent encore, les alertes ne sont pas suivies d’effet. »

Rendre les seniors désirables

Avec un âge de départ à la retraite qui recule, les RH font face à un challenge : favoriser l’emploi des seniors. Au deuxième trimestre 2025, le taux d’emploi des 50-64 ans était de seulement 69,4 %, contre 83,1 % pour les 25-49 ans, d’après l’Insee.

« En entreprise, les idées reçues sur les seniors persistent. Certains se disent que les embaucher coûte trop cher, qu’ils ont moins d’énergie, qu’ils ne sont pas aussi à l’aise que les plus jeunes sur le numérique… regrette Audrey Richard. Les RH savent qu’il s’agit de stéréotypes infondés. Mais il leur reste à le faire comprendre aux autres acteurs de l’entreprise… » Et en première ligne, aux managers.

Chloé Marriault