Tutorer un alternant, qui partage son temps entre l’entreprise et l’école, ne s’improvise pas. Pour que tout le monde y trouve son compte, le manager doit savoir l’autonomiser, le faire monter en compétences, travailler ses soft skills… Et ce n’est pas toujours évident.
Elsa, cadre dans un grand groupe, a une nouvelle alternante depuis un mois. Et tout ne se passe pas comme prévu… « La semaine dernière, j’étais en déplacement, je lui avais envoyé un mail récapitulatif détaillé, avec toutes ses missions prioritaires pendant mon absence. Elle avait largement de quoi faire pendant ces trois jours. Quand je suis revenue, elle n’avait quasiment rien fait de la liste, si ce n’est quelques slides de PowerPoint », soupire-t-elle. Pourtant, Elsa a l’impression d’avoir pris le temps avec l’étudiante, de l’inclure dans les réunions stratégiques, de lui expliquer les tenants et aboutissants du service…
Comme elle, des milliers de cadres sont tuteurs de jeunes en alternance. La plupart du temps, tout se passe très bien et ces salariés à temps partiel laissent une bonne impression, voire poursuivent l’aventure en CDI après leur diplôme. Mais parfois, la mayonnaise ne prend pas. La mission de tuteur, qui doit déléguer, transmettre et prendre du temps pour le suivi, dans des journées souvent chargées, n’est alors pas simple.
Les faire monter en compétences
Le premier conseil pour manager des alternants : les traiter comme des salariés à part entière. « Ils ont besoin de se sentir au même niveau que les autres collaborateurs et donc d’être reconnus, valorisés, mais aussi challengés, intellectuellement et professionnellement », observe Etienne Leparrée, responsable administratif et financier de DV Group, société lauréate des Pépites de l’alternance des Hauts-de-France l’an dernier.
Lui-même tuteur, il prend garde à prévoir des missions intéressantes. « Le jeune qui fait le café, cela n’existe plus ! J’en rigole avec mes alternants. Quand je leur raconte que cela se faisait encore à mes débuts en entreprise, ils me regardent avec des grands yeux. »
Réfléchir aux tâches à déléguer à un alternant fait partie intégrante du rôle du tuteur. « L’idéal est de déterminer dès le départ une sorte de programme, comme un escalier pédagogique, intégrant des tâches de plus en plus complexes. On ne peut pas confier d’emblée quelque chose de difficile et délicat à un novice ! Il faut l’accompagner progressivement dans le développement de ses compétences », relève Sarah Alves, professeure en gestion des ressources humaines à l’EM Normandie, qui travaille notamment sur l’apprentissage dans ses recherches.
Leur accorder de l’autonomie
Avec cette acquisition des compétences vient l’autonomie. « Cela peut être une vraie difficulté pour les tuteurs, car les organisations n’acceptent pas toujours l’erreur, dans un contexte où il faut tout faire vite et bien. Or, laisser de l’autonomie à un jeune signifie prendre un risque », reconnaît la chercheuse. D’où l’importance de prendre le temps d’évaluer et de connaître son alternant.
Sur ce point, Louise se veut attentive. Cadre en communication, cette trentenaire vise un « mélange entre missions opérationnelles et projets de plus long terme » pour ses alternants. « Seulement s’ils en ont vraiment envie », précise-t-elle, se souvenant d’une ancienne apprentie volontaire, à qui elle avait confié un gros projet. « Elle était en charge des témoignages de collaborateurs, publiés en interne et externe. Elle préparait la liste des personnes interviewées avec les RH, prenait contact, choisissait le format. J’étais là pour l’aider et valider, mais elle était en autonomie et en a tiré de la fierté. »
Des soft skills pas toujours acquis
Ecoute, communication, adaptabilité, autonomie, gestion du stress… Ces cinq « compétences douces » sont les plus importantes au bureau, selon le baromètre des soft skills 2025 de Lefebvre-Dalloz. D’où l’importance de tenter de les transmettre aux futurs professionnels.
Louise prend du temps avec ses alternants pour en discuter : « J’essaie de leur apprendre à faire leur autopromotion en interne, en prenant la parole en réunion, en valorisant leurs projets, mais aussi à se présenter à un membre du comex s’ils le croisent. Mon objectif est qu’ils sachent se positionner au sein d’une entreprise. »
Ils sont là pour apprendre, mais nous apportent aussi beaucoup.
Marjolaine Cavaglieri, DRH de la société Fatec
Parfois, il faut partir de loin. Audrey, elle aussi cadre, peut en témoigner avec son alternante du moment : « Elle ne dit pas bonjour le matin, ni au revoir le soir dans l’open space. J’ai dû lui expliquer que cela ne se faisait pas, que les collègues pouvaient mal le prendre. Pour moi, c’est quand même la moindre des choses… » Surtout dans une petite équipe.
De la même manière, Marjolaine Cavaglieri, DRH de la société Fatec, a déjà rencontré des difficultés : « Une alternante avait un problème de maturité et de savoir-être, arrivait en retard, se plaignait de s’être couchée tard, scrollait sur Instagram ou Shein pendant les réunions… J’ai tout essayé, mais j’ai fini par arrêter sa période d’essai. » Elle prend pourtant plusieurs heures, chaque semaine, avec ses alternants. Heureusement, nous confie-t-elle, de tels cas sont rares.
Comme tout contrat de travail, celui d’un alternant comprend une période d’essai. Et dans les pires cas, un licenciement est possible. « Si cela ne fonctionne vraiment pas, en effet, il ne faut pas insister. Pour l’organisation, cela peut devenir une perte de temps et d’argent, créer des difficultés, stresser le tuteur. Et pour le jeune, générer de vraies difficultés psychologiques », met en garde Sarah Alves. Ce qui n’est évidemment le but de personne.
« Ils sont nos collaborateurs de demain »
Dans la très grande majorité des cas, fort heureusement, les alternants vont au bout de leur formation et de leur contrat. Et ils peuvent beaucoup apporter à une organisation. « Je viens de quitter une réunion durant laquelle un alternant a présenté une note de cadrage, avec de très bonnes idées ! Ils sont là pour apprendre, mais nous apportent aussi beaucoup », souligne Marjolaine Cavaglieri, qui se réjouit notamment de leurs compétences sur les outils numériques.
De son côté, Etienne Leparrée ne s’imagine plus sans alternants. « Nous avons besoin de leur énergie et de leur point de vue extérieur. Ils sont aussi nos collaborateurs de demain, car nous en recrutons ensuite une partie », raconte-t-il. L’un de ses premiers alternants l’a particulièrement marqué. Quinze ans plus tard, celui-ci est d’ailleurs toujours présent dans l’entreprise, aujourd’hui responsable informatique.
Laura Makary
