Changer de métier ou de secteur à plus de 50 ans ? Pour beaucoup, c’est impensable. Peur de l’échec, de repartir à zéro, d’être trop vieux… Les freins sont nombreux. Deux experts, eux-mêmes des reconvertis tardifs aujourd’hui engagés pour l’emploi des seniors, balayent dix croyances qui empêchent de franchir le pas.
« Je suis trop vieux/vieille pour changer de voie »
C’est sans doute le frein le plus répandu. « Quand j’entends ça, ça me fait rager », lâche Frédérique Jeske, 59 ans, coach de dirigeants, experte en inclusion des seniors et fondatrice de l’association Senior4Good. Pour elle, cette croyance est avant tout une construction sociale. « A 50 ans, il vous reste quinze ans d’activité professionnelle. Ce n’est pas la fin mais une nouvelle étape. »
Et contrairement aux idées reçues, l’expérience, la résilience et la capacité d’adaptation sont des atouts majeurs. Hubert de Launay, 60 ans, fondateur du cabinet de recrutement XpertZon, dédié aux profils seniors, renchérit : « À 50 ans, vous savez bien plus de choses qu’à 30. Le problème, c’est qu’on oublie de s’appuyer dessus. »
La solution ? Se faire accompagner. Bilan de compétences, conseillers en évolution professionnelle (CEP), dispositifs de l’Apec ou de France Travail… Autant de pistes pour préciser ses envies et son projet. « Quand on prend le temps de clarifier qui on est, ce qu’on apporte et ce qu’on veut, l’âge devient accessoire », estime Frédérique Jeske.
« À mon âge, c’est trop risqué »
« Le vrai risque, c’est de réussir », sourit Frédérique Jeske. Après 50 ans, les charges familiales sont souvent moindres et la maturité protège. « On sait encaisser les coups durs. On est mieux armé qu’à 30 ans », assure la coach.
Bien sûr, le risque zéro n’existe pas, « mais il se mesure et s’anticipe », tempère Hubert de Launay. Lui-même, avant de lancer son cabinet de recrutement à 55 ans, a passé un bilan de compétences dans une association d’accompagnement. « Ça permet de tester la solidité de l’idée. ».
Attention néanmoins à bien cibler le métier ou le secteur pour éviter une reconversion impossible : « Il ne s’agit pas de nier les risques, mais de se préparer. » Pour réduire l’incertitude, les experts proposent de tester son projet à petite échelle ou de développer son activité en parallèle en restant salarié.
« Allez sur le terrain, rencontrez des professionnels, visitez des salons, demandez à passer quelques jours en immersion dans une entreprise, propose Frédérique Jeske. Cela évite d’idéaliser un métier. »
« Il va falloir repartir à zéro »
Perd-on vraiment tout en changeant de voie ? « C’est une illusion », tranche Frédérique Jeske. « On dispose d’un bagage immense, bâti sur des compétences transférables et des soft skills : la capacité à communiquer, à prendre du recul, à gérer une équipe. Tout cela reste précieux. »
Les neurosciences ont montré que la capacité d’apprendre ne diminue pas avec l’âge.
Frédérique Jeske
Hubert de Launay préfère nuancer : « Certes, on ne repart pas de zéro, mais on peut se retrouver en bas de l’échelle ». Et d’illustrer : « Si je passe de comptable à gestionnaire de paie, je garde une avance. Mais du commerce à la paie, il faut accepter un salaire plus bas au départ. »
Là encore, se faire accompagner reste utile pour identifier les ponts possibles entre deux métiers/secteurs. « L’important est de capitaliser sur ce qu’on sait faire. Le reste, on peut l’apprendre », conclut le recruteur.
« Je vais perdre en sécurité financière »
C’est souvent la crainte, la plus difficile à lever. « J’étais terrorisée à l’idée de perdre mon salaire fixe, se souvient Frédérique Jeske, qui a quitté son poste de directrice générale à 57 ans. Mon mari a dû me rassurer avec des tableaux Excel. On ne peut pas avancer avec la peur de manquer. »
Pour Hubert de Launay, la clé réside dans la préparation : évaluer ses charges, anticiper sa trésorerie, se fixer des seuils d’alerte. « Un business plan personnel est indispensable. »
Des dispositifs comme la rupture conventionnelle ou le projet de transition professionnelle (PTP) peuvent sécuriser une transition. « Certains salariés changent de métier dans leur entreprise, sans perte brutale de revenus », rappelle aussi Frédérique Jeske.
En clair, la sécurité financière ne disparaît pas, elle se gère. « Il faut accepter que les revenus soient plus faibles au départ, mais si le projet est aligné avec vos envies, c’est un investissement dans la durée », assure Hubert de Launay.
« Il est trop tard pour reprendre une formation/des études »
« Les neurosciences ont montré que la capacité d’apprendre ne diminue pas avec l’âge », rappelle Frédérique Jeske. Elle observe même que les seniors font preuve d’une grande énergie quand il s’agit de se former : « On est une génération qui a beaucoup travaillé, pour qui l’effort est une valeur. »
Hubert de Launay témoigne : « À 55 ans, j’ai suivi neuf mois de formation. C’est plus dur qu’à 30 ans, mais quand on est motivé, on y arrive. » Et d’insister : « On ne devient pas idiot avec l’âge. La seule vraie question, c’est : en ai-je envie ? »
Les deux experts avancent quelques options : formations en alternance, validation des acquis de l’expérience (VAE), formations en ligne (MOOC), certifications professionnelles (RNCP)… Frédérique Jeske cite le programme en alternance Atout Senior, lancé par l’Ifocop avec France Travail et l’Apec. « Une excellente manière d’acquérir une qualification reconnue et immédiatement valorisable. »
« Mon entourage ne comprendra pas ma décision »
Se reconvertir ne se fait pas seul. « Sans le soutien de mon mari, je n’aurais jamais lâché mon poste de directrice générale, confie Frédérique Jeske. C’est essentiel que les proches comprennent que ce n’est pas une lubie, mais un vrai projet. »
Avoir tenté une reconversion est une preuve de courage. Certains recruteurs y sont très sensibles.
Hubert de Launay
Hubert de Launay partage cette vision, mais insiste pour « ne pas rester en vase clos, car si la famille doute, ça peut vite créer des tensions ». D’où l’importance d’élargir son cercle de soutien : réseaux professionnels, associations, mentorat. « Ces échanges entre pairs permettent de tenir bon. »
Frédérique Jeske propose aussi d’activer son réseau d’amis et d’anciens collègues. « Des gens autour de vous exercent peut-être déjà le métier que vous visez. Allez leur parler, demandez-leur un retour d’expérience. Ça aide à se sentir moins seul, et ça rassure les proches. »
« Si j’échoue, je ne pourrai pas rebondir »
La peur de l’échec reste un frein majeur. « Mais l’échec fait partie du parcours, tranche Hubert de Launay. Certains arrêtent trop tôt alors qu’ils ont franchi le plus dur. » Et d’insister : un échec peut se valoriser. « Avoir tenté une reconversion est une preuve de courage. Certains recruteurs y sont très sensibles. »
Frédérique Jeske abonde : « Les parcours hachés sont mieux acceptés. Vous pouvez tenter l’indépendance, puis revenir au salariat. Votre CV reste riche de votre vécu. »
« Il existe aussi des structures pour se relever », rebondit Hubert de Launay. Des associations comme 60.000 Rebonds ou Second Souffle aident les dirigeants à reprendre pied.
« Les recruteurs ne veulent pas de profils seniors en reconversion »
L’âgisme existe. « Certaines personnes qui ont suivi une ou plusieurs formations pour se reconvertir, ne sont pas recrutées parce qu’elles sont jugées ‘trop vieilles’ ou ‘pas assez expérimentées dans leur nouveau métier’. C’est une double peine », regrette Frédérique Jeske.
Hubert de Launay s’attache à déconstruire ces préjugés dans son métier de recruteur : « Les seniors ne coûtent pas plus cher, ils sont stables, motivés, compétents. Et contrairement aux idées reçues, ils restent souvent plus longtemps dans l’entreprise qu’un jeune en quête de mobilité. »
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Pour contourner ces blocages, les deux experts recommandent de se reconvertir plutôt dans des secteurs en tension. « Les soins à la personne, l’éducation, l’hôtellerie-restauration : ce sont des domaines où les seniors sont accueillis à bras ouverts », pointe Frédérique Jeske, contrairement au marché saturé de la communication.
Optimiste, Hubert de Launay ajoute qu’avec le vieillissement démographique, « les entreprises n’auront bientôt plus le choix. Elles devront leur ouvrir leurs portes ».
« Je me sens dépassé par les nouvelles technologies, par l’IA »
« Le cliché du senior déconnecté est ridicule », s’agace Frédérique Jeske. « Je connais des seniors bien plus geeks que les plus jeunes. » Le vrai frein, selon elle, est psychologique : « Il suffit d’être curieux, de tester, de se former. Allez sur ChatGPT tous les jours, essayez ! »
Hubert de Launay partage ce constat. « J’ai connu des gens qui se sont mis à l’anglais à 55 ans. Pourquoi ne pas apprendre à coder ? » Pour lui, il faut refuser de généraliser : « À 50 ans, on peut même devenir développeur. C’est une question d’envie et d’énergie. »
De la formation continue aux ressources gratuites en ligne, les outils existent pour s’approprier le numérique. « Le plus dur, c’est le premier pas, insiste Frédérique Jeske. Une fois qu’on l’a franchi, on réalise que rien n’est insurmontable. »
« Je ne vais pas savoir valoriser ma reconversion »
L’art de se vendre est un vrai enjeu. « Notre génération n’a pas appris à se mettre en avant, reconnaît Frédérique Jeske. Pourtant, il s’agit de convaincre et pour cela, il faut travailler son pitch, son profil LinkedIn, sa communication. »
L’experte observe que les seniors rechignent souvent à se montrer en photo, à publier sur les réseaux sociaux. « Savoir raconter son parcours et valoriser son projet est devenu indispensable. »
Cette passionnée en inclusion des seniors en est l’illustration. Très active sur LinkedIn, elle y compte plus de 30.000 abonnés, tout comme Hubert de Launay. « Je ne parle pas de moi, je partage des idées. Et ça suffit. » Le recruteur invite à dédramatiser : « Si vous vous trompez dans la rédaction d’un post, ce n’est pas grave. Ça ne changera pas votre vie. L’important, c’est d’essayer. »
Corinne Dillenseger