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Cinq questions pour savoir ce qu’on risque vraiment en critiquant ses collègues sur Teams

Cinq questions pour savoir ce qu'on risque vraiment en critiquant ses collègues sur Teams

A-t-on le droit d’utiliser sa messagerie Teams pour raconter ses futures vacances à ses collègues ? Une avocate en droit social décrypte les droits et devoirs des salariés vis-à-vis de cet outil professionnel.

Utiliser sa messagerie professionnelle pour critiquer un collègue, se plaindre de son supérieur ou envoyer des blagues – sans aucun rapport avec le travail – aux membres de son équipe… Ces usages non professionnels sont souvent indissociables de la vie de bureau.

Mais que risque-t-on à donner son avis sur Slack ou Teams ? L’employeur peut-il avoir accès à ces échanges ? On fait le point avec Marie Content, avocate en droit social au sien du cabinet BG2V.

1. L’employeur a-t-il le droit de lire ces messages ?

Eh oui, l’employeur a le droit de lire le contenu des e-mails et messages échangés sur la messagerie pro, puisque son usage est réputé être professionnel. Seule exception : si le salarié a identifié cette conversation comme confidentielle ou privée. « Dans ce cas de figure, l’employeur a le droit de les consulter mais uniquement en présence du salarié », précise Me Content.

Il n’existe pas de critères objectifs établis par la loi pour définir une conversation privée. Si l’intitulé de la conversation n’est pas identifié comme tel, cette décision reviendra à l’appréciation du juge. En étudiant la jurisprudence, Marie Content a tout de même relevé plusieurs conditions.

« Déjà, il faut que le nombre de personnes concernées soit limité. S’il s’agit d’une boucle d’e-mails avec 50 personnes en copie, on dépasse le cadre privé », estime-t-elle. Autre critère : « La conversation doit être sans aucun rapport avec l’activité professionnelle et ne pas avoir vocation à être rendue publique. »

2. A-t-on le droit d’utiliser sa messagerie pro pour envoyer des messages personnels ?

Oui, a répondu la Cour de cassation. La haute juridiction estime en effet que les employés ont le droit à « un usage privé raisonnable » de ces outils professionnels et au respect de leur vie privée dans ce cadre-là. « On peut le limiter et poser des règles mais on ne pas interdire totalement au salarié de passer un coup de fil rapide ou d’envoyer un mail personnel », décrypte Marie Content.

Concrètement, cela signifie que ces deux droits – respect de la vie privée du salarié et droit de l’employeur de consulter la messagerie pro et de s’en prévaloir – s’opposent. Les juges devront trancher, au cas par cas, ce qui relève de la vie privée et ce qui relève de la vie professionnelle et peut donc être sanctionné comme un manquement au contrat de travail.

Dans les faits, un arrêt rendu en septembre 2024 a consacré le droit au respect de l’intimité de sa vie privée à un salarié. Il avait été licencié pour avoir échangé des blagues sexistes et des photos à caractère pornographique à quelques correspondants sur sa boîte mail professionnelle. Un licenciement que la Cour de cassation a considéré comme « attentatoire à cette liberté fondamentale » et donc nul.

En revanche, le licenciement pour faute lourde d’un salarié qui avait utilisé son téléphone professionnel pour échanger des propos critiques sur la société et ses dirigeants par SMS a été confirmé par la Cour de cassation en décembre. La haute juridiction a considéré que ces échanges avaient un caractère professionnel, et que ce dénigrement pouvait révéler une intention de nuire à l’employeur.

Pour résumer : « on ne peut pas qualifier de fautif un fait relevant de la vie privée du salarié, sauf s’il constitue un manquement aux obligations découlant de son contrat de travail », estime Marie Content. Si l’employeur a le droit de lire les conversations de ses salariés, il ne peut s’en servir contre eux que si le contenu de ces échanges est en rapport avec l’activité professionnelle.

3. À partir de quand l’usage est considéré comme abusif ?

Quand on utilise ses outils pros pour envoyer des messages privés, attention aux excès. Si on y passe trop de temps, on peut tomber dans « l’usage abusif de la messagerie professionnelle ».

Encore une fois, il n’y a pas de critères précis mais l’avocate considère que, par exemple, un salarié au forfait horaire qui consacre une heure par jour à échanger des messages sans rapport avec son travail pourrait se voir reprocher un usage abusif.

4. Risque-t-on immédiatement le licenciement pour avoir dénigré son patron ?

Pas nécessairement. Le salarié a le droit de faire usage de sa liberté d’expression et ne peut être sanctionné qu’en cas d’abus caractérisé par des propos excessifs, injurieux ou diffamatoires.

Si les propos répondent à ces qualificatifs, « cela justifiera dans tous les cas une sanction mais pour le licenciement, cela dépend des circonstances », précise-t-elle. Violence des propos, personnes à qui ils sont adressés, caractère isolé ou répété, passé disciplinaire du salarié, préjudice que cela peut causer à l’employeur… Les juges étudieront ces différents éléments pour valider, ou non, le licenciement pour ce motif.

5. Les employeurs espionnent-ils vraiment les messageries de leurs employés ?

Non, estime Marie Content. D’après son expérience, les employeurs ne savent généralement même pas qu’ils ont le droit de consulter les e-mails et messages envoyés par leurs employés. « Souvent, ils découvrent des propos dénigrants par erreur, parce que, par exemple, le salarié a oublié de se déconnecter avant de partir en vacances », illustre-t-elle.

Reste qu’en cas qu’enquête interne, après des accusations de corruption ou de fraude par exemple, les messageries professionnelles sont le premier axe d’enquête.

Sarah Dumeau