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Comment manager (sans la frustrer) une génération Y assoiffée de reconnaissance

Comment manager (sans la frustrer) une génération Y assoiffée de reconnaissance

Plus que jamais désireuse de prouver son implication à la bonne marche de l’entreprise, la génération Y éprouve, parfois, toutes les peines du monde à contenir sa fougue, quitte à brûler les étapes. Ou quand le travail accompli se mue en quête de sens et de reconnaissance.

« Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années », dit Rodrigue dans « Le Cid » de Corneille. Près de quatre siècles plus tard, cette fameuse sentence – devenue adage – semble en totale adéquation avec l’état d’esprit de plusieurs représentants de la génération Y, avides de reconnaissance au travail. Au risque de voir leur tableau de marche entravée.

« L’ego peut freiner des carrières. Alors, s’il est indéniable que les 30-35 ans ont des ego démesurés, ils se retrouvent souvent face à des managers avec des ego encore plus développés, qui les empêchent de s’accomplir », nuance Victoire Mathot-Rivaton, 30 ans, directrice de la communication de Malt, leader européen du consulting free-lance . Un constat ciselé au gré de ses pérégrinations passées et un « choc des générations » qui ne semble pas avoir cours au sein de Malt, où la moyenne d’âge ne dépasse pas les 31 ans. « Je dirais même que c’est la philosophie inverse. Ici, on s’entoure de gens meilleurs que soi, ce qui nous encourage à donner le meilleur de nous-mêmes. »

Le management par la stimulation peut-il être la clé pour maintenir sur la brèche une génération dont la durée d’attention est en moyenne de 9 secondes, soit une de plus que le poisson rouge, comme le théorise Bruno Patino dans son ouvrage « La civilisation du poisson rouge, petit traité sur le marché de l’attention » (Grasset) . « Cette génération doit constamment être stimulée via des projets concrets. Sinon, elle a tendance à décrocher très vite », abonde Isabelle Rouhan, à la tête du cabinet de recrutement Colibri Talent. Et d’ajouter: « Je ne crois, pour ma part, qu’au management par les objectifs. Si ces derniers sont clairs et servent la mission de l’entreprise, cela se passe beaucoup mieux. »

Se sentir impliqué(e)

Un modus operandi auquel souscrit pleinement Xavier d’Aumale, associé Services digitaux et financiers chez Russell Reynolds Associates et anciennement DRH de BlaBlaCar. « Je pense également que les faire participer à des projets qui les confrontent aux parties prenantes décisionnaires de l’entreprise doit leur permettre de se sentir pleinement impliqués. » Mais de la théorie à la pratique, il y a parfois un gouffre et la motivation peut vite se muer en décrochage, à défaut d’oreilles attentives. Présidant aux destinées du groupe hôtelier Machefert Group depuis le début de l’année 2020, Kevin Machefert, 30 ans, s’est retrouvé « des deux côtés de la barrière » puisqu’il a longtemps oeuvré en tant que directeur commercial et du marketing de l’entité familiale. « J’ai été confronté à la problématique de la reconnaissance en tant que salarié. Le manque d’appréciation de mon travail me pesait. Forcément, quand votre travail n’est pas considéré, vous commencez à vous démotiver. »

Dès lors, « l’herbe est-elle plus verte » du côté du directeur adjoint du groupe qu’il est devenu tout début 2020 ? Pas vraiment. « C’est compliqué par définition, car je suis devenu directeur général adjoint en pleine pandémie de coronavirus », admet Kevin Machefert. Et de poursuivre: « Les gens étaient davantage à l’écoute à cette époque. Je parvenais à exiger beaucoup de nos jeunes collaborateurs. Ainsi, nous avons pu déployer de formidables initiatives lors du premier confinement comme la transformation d’un hôtel en centre d’hébergement pour femmes battues, mais depuis deux mois, tout ce qui paraissait évident est à négocier. Je ressens ce besoin immédiat de reconnaissance de cette génération alors que pour nous, dans l’hôtellerie, la bataille n’est pas encore finie. »

Syndrome de l’imposteur

Un besoin de reconnaissance « maladif » qui exacerbe, paradoxalement, la prise de distance avec l’entreprise, selon les dires de Florence Hermelin, executive coach en charge des « hauts potentiels » : « Cette jeune génération se considère comme client de l’entreprise, et non comme salarié. S’ils s’ennuient, ils le disent. Rapidement, ils viennent vous voir pour vous dire qu’ils ont fait le tour de leur poste. » Une appréciation cinglante, à nuancer toutefois puisque tous les représentants de cette génération ne sont pas des jeunes loups aux dents longues prêts à dévorer le monde. « Après avoir exercé de longues années en tant qu’infirmière, je me suis tournée vers le journalisme et, à cause de ce parcours atypique, je me suis toujours sentie illégitime. Même lorsque j’ai commencé à faire de l’antenne, de plus en plus fréquemment, j’attribuais tous mes mérites au facteur chance et je me disais que je bénéficiais d’une bonne étoile. J’ai définitivement arrêté de me trouver des excuses lorsque j’ai publié mon premier livre-enquête, début 2021 », explique Nora Sahara, 38 ans. Cet « état d’esprit » a un nom : le syndrome de l’imposteur.

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« Cette mécanique crée de l’angoisse, qui est plus dévastatrice que l’échec finalement. Je le vois surtout chez les femmes », développe Noémie Le Menn, psychologue du travail et auteure de « Libérez-vous du sexisme au travail » (Dunod). Dans tous les cas de figure, l’accompagnement demeure la vertu cardinale pour manager et entraîner dans son sillage une génération, certes en quête de reconnaissance mais également en quête de repères. « Le salarié doit avoir le sentiment d’être partie prenante du projet, en étant suffisamment encadré pour éviter certains écueils, mais il doit également être prêt à dépasser ses fonctions », explique Alexandre Fretti, directeur général de Malt. Et de décliner sa vision du dirigeant. « Le rôle du manager n’est pas d’emmener les gens où ils veulent aller, mais là où ils doivent se rendre. »

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Par Samir Hamladji

 

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