Adapter les postes de travail avec l'ergonomie de l'activité

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Interview de Marc Bechetoille, Chargé d'action ergonomique et emploi handicap

Marc Bechetoille est formateur consultant depuis 15 ans. Il accompagne les entreprises au travers du diagnostic conseil emploi-handicap, de la formation, et de l'aide à la conduite du projet. Il maîtrise les enjeux législatifs, économiques et sociaux du handicap dans l'entreprise. Titulaire du certificat de compétence chargé d'action ergonomique délivré par le CNAM Paris, son domaine d'intervention s'élargit vers un thème central, l'activité de travail : la comprendre, identifier les conséquences sur la santé des salariés et la performance de l'entreprise, en tirer des lignes d'actions pour transformer les situations.

Il anime la formation Adapter les postes de travail.

Quelles peuvent être les situations nécessitant l'adaptation d'un poste de travail et les indicateurs à surveiller ?

Les situations sont multiples. Plusieurs indicateurs orientent vers la nécessité d'adapter un poste de travail, notamment la hausse du taux de fréquence et/ou du taux de gravité des accidents du travail sur une ligne de production, le retour non anticipé d'un salarié ayant un problème de santé, l'augmentation des arrêts courts et fréquents...

Le point commun à toutes ces situations est une désorganisation du service qui se traduit par des indicateurs concrets : baisse de la performance en termes de qualité, d'efficacité, de rentabilité et une dégradation de la santé des salariés. Ce constat a le mérite d'être partagé par tous les acteurs de l'entreprise : direction, managers, salariés, institutions représentatives du personnel, services de santé au travail.

Trouver des solutions demande d'abord de comprendre comment se déploie l'activité de travail des salariés concernés. Ensuite, il convient de trouver un compromis conciliant la performance de l'entreprise et la santé/sécurité des salariés. Il s'agit là de la démarche ergonomique.

Quel doit être le rôle des professionnels RH, des préventeurs et des membres de service de santé au travail dans l'adaptation des postes et le maintien dans l'emploi ?

Le rôle principal de ces trois acteurs est celui de travailler ensemble pour mieux anticiper les situations, en respectant les prérogatives de chacun.

Les professionnels RH ont un rôle de coordinateur. Ils se situent à la croisée des enjeux économiques et sociaux de l'entreprise. Cette position leur donne un avantage, celui de pouvoir mettre en place des méthodes, des outils, des procédures. Adapter des postes de travail et, par conséquence, maintenir dans l'emploi un salarié, ne s'effectue pas dans l'urgence. Les équipes RH peuvent tirer les enseignements de situations parfois critiques et proposer une méthode de travail partagée et concertée avec les préventeurs et les services de santé au travail. Cela passe par des échanges d'informations, des tableaux de bord en commun et des séances de partages d'expérience pour mieux saisir le rôle de chacun. Instaurer un climat de confiance avec le manager et le salarié victime d'un problème de santé est une autre des missions RH. Les équipes s'appuient sur l'« ADN » de leur métier : le respect de la confidentialité et la garantie de discrétion. Même si la tâche est complexe, travailler sur ces questions redonne tout son sens au mot « humain ».

Le rôle des préventeurs est de faire appliquer les règlementations en vigueur pour prévenir les accidents. C'est pourquoi, ils sont directement concernés par les adaptations des postes de travail. Le rôle du préventeur est celui d'un expert qui veille à ce que les solutions d'aménagement de poste soient réalisées en cohérence avec les règlementations externes et internes à l'entreprise. Réunir les préventeurs et les RH est riche d'enseignements car ils sont confrontés aux mêmes problèmes, par exemple la hausse des accidents du travail. La solution passe par la mise en place d'une méthodologie de travail commune : comment anticiper, connaître les experts extérieurs, agir et mettre en place les solutions.

Le plus souvent, les entreprises connaissent les services de santé au travail par le seul prisme de l'intervention du médecin du travail, acteur incontournable qui délivre l'aptitude médicale. Pourtant plusieurs réformes, dont la dernière date de juillet 2011, réaffirment la mise en œuvre effective de la pluridisciplinarité.

Les équipes RH et les préventeurs ont tout intérêt à se rapprocher de la médecine du travail pour échanger avec le médecin du travail bien sûr, mais aussi pour impliquer d'autres intervenants : l'infirmier(e), l'assistant(e) social(e), l'intervenant en prévention des risques professionnels (IPRP), l'ergonome... Pour établir un partenariat, il convient de ne pas agir seulement dans l'urgence, mais d'intégrer ces acteurs à un groupe de travail en vue d'enrichir les analyses, les réflexions et de mettre en place des actions concrètes. Par exemple, il est utile d'orienter le salarié qui revient d'un long arrêt maladie vers l'assistant(e) social(e), pour faciliter ses démarches administratives.

Si vous aviez 3 conseils à donner pour optimiser l'aménagement d'un poste de travail, lesquels seraient-ils ?

1) Anticiper
L'anticipation favorise les expériences réussies. La visite de pré-reprise du salarié avec le médecin du travail (qui ne délivre pas d'aptitude mais prépare le retour du salarié et les adaptations de poste) est un exemple d'outil qui sert à anticiper. Sa mise en place exige d'élaborer une méthode de travail et des procédures en interne autour du signalement précoce, et en externe avec les partenaires (service social de la Sécurité Sociale par exemple).

2) Coopérer
entre RH, préventeurs, et services de santé au travail
Créer une dynamique de travail entre ces acteurs suppose de se connaître pour s'impliquer quand un cas d'aménagement de poste survient. La coopération passe par la construction d'une méthodologie commune qui puisse ensuite s'adapter aux différentes situations.

3) Agir
avec l'ergonomie de l'activité
Trop souvent, les adaptations des postes de travail sont décidées avant même de comprendre comment se déploie l'activité de travail du salarié : quelle est la tâche prescrite et par qui, quelle est l'activité réelle, quelles sont les coopérations avec les autres collègues... Une étude ergonomique permet de s'appuyer sur le réel de l'activité de travail pour proposer des adaptations utiles et efficaces pour le salarié et la performance de l'entreprise.

Qu'est-ce que l'ergonomie de l'activité ?

Dérivée du grec ergon (travail) et nomos (règles) pour signifier la science du travail, l'ergonomie est une discipline orientée système, qui s'applique aujourd'hui à tous les aspects de l'activité humaine. Par définition, l'ergonomie de l'activité place l'activité au cœur de ses observations, analyses, et préconisations. Cette discipline scientifique a pour objectif de changer concrètement la situation en réponse à une demande d'entreprise. Elle apporte aussi des outils méthodologiques pour faire évoluer l'organisation.

« L'ergonomie peut être définie comme l'adaptation du travail à l'homme » selon la Société d'Ergonomie de Langue Française (SELF) en 1970. Aujourd'hui, l'ergonomie de l'activité se fonde toujours sur cette définition en s'appuyant sur les notions d'ergonomie physique (la biologie, la physiologie...), d'ergonomie cognitive (comment s'organise la production des connaissances de la personne), et d'ergonomie organisationnelle (par exemple la communication, la gestion des ressources des collectifs, la conception du travail ou des horaires de travail, le travail en équipe...). A cela s'ajoute la notion d'ergonomie constructive, c'est-à-dire comment non seulement « adapter le travail à l'homme », mais également permettre le développement des individus et des organisations.

30/04/2015

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