Interview de Samira SOFI, Psychologue et thérapeute - Expert Santé et Travail

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Interview de Samira SOFI, Psychologue et thérapeute - Expert Santé et Travail

Avec les négociations sur l'accord sur la qualité de vie au travail repoussées au mois de septembre prochain, COMUNDI se penche sur les notions de travail, QVT, RPS au sein de la fonction publique.

Représentants du service public français, au 1er rang face à l'opinion publique, soumis à différentes pressions (gel de l'indice, temps de travail, ...), comment améliorer la qualité de vie au travail des agents ?

En quoi se pencher sur la notion de travail peut conduire à améliorer la qualité de vie dans la fonction publique ?

Se pencher sur cette notion Travail, c'est développer de la compréhension sur les membres du système : connaître le travail de l'autre et réciproquement (Travail du point de vue direction/fonctionnaires).

C'est saisir l'interdépendance des deux constituants, l'un ne va pas sans l'autre. C'est en quelque sorte reconnaitre les ingrédients pour assurer la préparation et la réalisation de sa recette.

C'est reconnaitre la centralité du Travail et le réel en mouvement.

Saisir l'importance de l'apport et les limites de chacune des parties prenantes, me paraît essentiel. Au-delà de ce que l'on entend par le contrat de travail, d'un côté un employeur et de l'autre un salarié, ici un fonctionnaire,  il existe une autre manière de l'appréhender, qui donne toute la valeur à la notion travail.

1. La prescription, la direction, d'une part : ici : ce qui est demandé : la fiche de poste, les enjeux, les objectifs, les moyens et ressources.

2. Le réel, les fonctionnaires, d'autre part : ici : ce que cela demande : la réalisation sur le terrain(compétences/collectif/ressources/temps)

Et c'est de la qualité de cette rencontre, que la qualité de vie au travail sera au rendez-vous. Il est question de gérer les écarts et pour la direction de reconnaitre les réalités du réel. Même si en haut, tout est prévu, connu, le réel amène son lot d'incertitude, d'inconnu.

Sans doute que par l'histoire de la fonction publique, le débat n'était pas posé clairement, aujourd'hui cela devient une évidence, et réclame toute l'attention. Cela demande une ouverture, un changement des mentalités.

L'un pense le travail, le fournit à l'autre, qui doit à son tour, le repenser pour que cela puisse avoir une chance d'être réalisé. Il s'agit ici de reconnaître ainsi que le collectif ne fait pas qu'exécuter,  il repense le travail, et c'est l'unité, le service, le collectif de travail, qui doit se réunir, pour échanger, débattre les modalités d'exécution. Ce qui ne se fait plus. Plus de temps de se réunir, et à quoi bon.

C'est parce qu'il est tiraillé, cet objet de travail, que l'échange doit avoir lieu, un échange dénué de position arrêtée, un échange fluide et continu. Écouter les deux pôles est fondamental.

L'un ne va pas sans l'autre, si l'un est manquant, l'autre est en souffrance. Le travail bouge, car le réel bouge.

Dans la fonction publique, la question de service est d'autant plus sensible que la rencontre des deux hémisphères est importante, c'est comme un cerveau, les deux ont intérêt à travailler en parfaite concertation, là réside la bonne santé du corps.

En clair, chacun doit savoir répondre :

  1. De quoi l'un et l'autre est fait ?
  2. De quoi l'un et l'autre a besoin pour fonctionner ?

Ici on voit bien l'interdépendance. Le respect des parties, cela demande un esprit ouvert pour la fonction publique. Quand les besoins des deux pôles sont entendus, c'est-à-dire discuter, quand à leur satisfaction, et qu'ils sont validés, alors nous avons une union, une réelle qualité de vie au travail.

Selon vous, comment passer d'un groupe d'individus qui travaillent ensemble à un vrai collectif de travail ?

Le travail est composé d'hommes et d'objets. Avant toute constitution d'un collectif de travail, une période de travail est nécessaire : travailler ensemble, s'engager de manière collective pour créer, faire émerger  un collectif de travail.

L'engagement passe par du lien, c'est lui qui détermine la construction d'un collectif de travail.  Ce lien passe par des échanges, des rencontres ou l'on se parle : rencontrer d'abord l'homme puis  rencontrer le travail inscrit en l'homme.

Dans cette rencontre, on va voir la manière dont chacun est dépositaire d'une richesse personnelle et de cette manière de travailler, qui est unique, vient de son histoire (où et comment il a appris) et qui diffère des autres. Cette rencontre développe la connaissance et constitue la mise en commun des savoir acquis par chacun pour ne faire qu'un bloc solidaire, accepté, enregistré dans un répertoire (métier), vivant et capable de se déployer, de se transformer en fonction des aléas du réel.

Ainsi du départ de cette juxtaposition d'individus, des reconnaissances se tissent, de la connaissance circule, se développe.

Ce partage amène à solidifier ce qui coexiste et ce qui coexistait avant eux. Ce collectif reprend ce que la prescription a prévu, dessiné, envisagé, ce que d'autres, avant eux, les gens du métier ont laissé. Par cette connaissance, mise en commun et  débat, des manières de faire, nouvelles, vont être posées et serviront d'instruments à faire le travail, le métier. Il s'agit donc, avant tout, de travailler sur la construction de ce collectif et cela demande un engagement de chacun.

  1. D'une part, l'intervention constructive des travailleurs eux-mêmes,
  2. Et d'autre part, des responsables de service pour accompagner à la mise en œuvre et ajustements de ces liens.

Un collectif de travail partage des connaissances, des méthodes, des règles, un langage, des gestes professionnels, des rituels, une histoire. Il est solidaire. Il a le sens de la famille et de la coopération.

Les fonctionnaires sont dans un environnement changeant, de quels leviers disposent les managers pour éviter que le travail « échappe » à leur collaborateur ? Eux-mêmes comment peuvent-ils se responsabiliser? 

Comme tout bouge, il est important d'être à l'écoute, à l'écoute de soi, à l'écoute des autres.
Être à l'écoute : être vigilant par rapport à chaque individu de son service et par rapport au groupe, a l'ensemble des personnes le collectif.

Ecouter c'est donner l'espace à l'autre, sa manière de voir, comment il voit les choses. Quand on sait écouter, on peut être un excellent guide, les autres vous suivent naturellement. Car l'écoute c'est de l'altruisme, c'est se mettre au niveau de l'autre. Cela ne veut pas dire abonder et être d'accord c'est accueillir surtout les mots (maux) de l'autre. Et ainsi être en mesure d'accompagner, de conseiller ses collaborateurs.

Etre en mesure de parler en entretien à l'un d'eux, en tête à tête et de faire des réunions, communiquer à l'ensemble de l'équipe.

C'est pour le manager primordial d'intervenir rapidement en amont avant que tout problème ne s'enlise et  devienne un conflit.

C'est permettre le développement de chacun dans sa tâche de saisir son utilité au travers du collectif
Il est un facilitateur des échanges. 


Il communique régulièrement sur toutes les choses qui bougent, il donne de la visibilité.
La communication est donc fondamentale : écouter et ne pas faire sourde oreille, recevoir en particulier ou en groupe, apporter son appui dans un accompagnement.

Le manager doit ainsi assurer des conditions de travail respectable, propice à un climat de travail favorable.

Les managers doivent apprendre à se connaitre, leurs qualités, leurs valeurs, leur manière de communiquer. Savoir aussi les points qu'ils doivent surveiller et qui peuvent bloquer le collaborateur.

C'est savoir gérer ses émotions, contrôler ses états émotionnels.

C'est apprendre à faire le point chaque jour, chaque semaine et ne pas se laisser dépasser par les évènements. Prendre l'habitude d'écrire, de notifier les informations. Et de pouvoir en faire des synthèses constructives.

Etre responsable c'est être en mesure d'apporter des réponses à une situation.


Dans vos formations, vous amenez les stagiaires à se poser la question du métier, en quoi est-ce essentiel pour le bien-être au travail ?

Il existe un paradoxe bien français selon lequel le travail a une très grande importance aux yeux des travailleurs en France alors qu'ils s'en plaignent de plus en plus. Cette situation provient de la détérioration des relations professionnelles, à l'affaiblissement des syndicats et plus généralement du « collectif ».

L'homme a un rapport affectif avec le travail, il y a même une identification au travail. Quand le travail est soigné, il répond aux valeurs, caractéristiques du métier, l'individu et le collectif se portent bien.

C'est lorsque le travail ne rentre dans aucun registre (pensé par lui et collectivement) ou qu'il est empêché, sans qu'il puisse intervenir, qu'il y a des risques pour la continuité du bien-être au travail.

Ainsi la notion de métier peut-être un véritable catalyseur pour celui qui fait le travail.

Se reconnaître dans ce terreau, c'est se reconnaître dans son identité, en soi et dans le collectif. C'est sentir en soi, l'appartenance à une lignée, que d'autres avant lui, ont construit les bases de ses métiers et qu'il fait partie d'une chaine.

Le métier renferme un héritage, un savoir. Il a une raison d'être, il a une utilité sociale.

Le métier est le point de ralliement d'un ensemble de personnes :

  1. des prescripteurs
  2. l'histoire antérieure transpersonnelle (histoire du métier),
  3. la part individuelle de chacun (la patte personnelle)
  4. les échanges entre les personnes pour faire vivre le métier

Le métier face au réel permet à l'individu, de consulter ce répertoire de règles, de consignes, de prescriptions. Il donne, autorise le travailleur à agir, ici le pouvoir d'agir s'exerce pleinement. L'individu n'est pas perdu, n'est pas noyé par les empêchements de l'activité. Il est agissant. La santé réside ici.

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